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Les critiques de Bifrost

Entre troll et ogre

Entre troll et ogre

Marie-Catherine DANIEL
ACTUSF
304pp - 19,00 €

Bifrost n° 91

Critique parue en juillet 2018 dans Bifrost n° 91

Arsouille est vieux. Arsouille est ronchon. Arsouilles est perclus d’arthrite. Surtout, Arsouille est un troll. Et quand on vit dans une société en guerre et contrôlée par les ogres, pas facile d’être un troll de plus de 70 ans. Les règles sont simples. La fermer, sous peine de se faire bouffer. Tenir son rang (d’inférieur), sous peine de se faire bouffer. Ne pas créer de problèmes publics (du genre ramper dans la rue après s’être fait refaire le groin par une bande de trollards en pleine poussée hormonale), sous peine de se faire bouffer. Ou, au choix, de devenir de la chair à canon. Pas facile tous les jours, mais jusqu’ici, Arsouille s’en est plutôt bien sorti. Il vit chez sa belle-fille et son petit-fils, au chaud, et il a de quoi manger tous les jours. Il suffit simplement de grogner un peu de temps en temps pour remettre les pendules à l’heure.

Pourtant, quand il reçoit une lettre de son frère jumeau, Arpète, qu’il n’a pas vu depuis au moins cinquante ans, tout est remis en question. Car pendant qu’Arsouille passait de trollinou à troll en pleine puberté, Arpète, lui, se transformait en ogre. Les aléas de la Grande Poussée Dentaire… Et si les trolls sont des brutes épaisses qui ne réfléchissent pas plus loin qu’à demain et qu’au poing de leur voisin, les ogres, eux, sont des êtres froids et calculateurs, craints par tous (ah, ça, le prestige de mâchoires télescopiques extrêmement puissantes, rapides, aux dents acérées !). Surtout, les ogres sont dénués de sentiments. Alors pourquoi, Arpète semble-t-il regretter avec émotion leur séparation et désire-t-il revoir son frère ?

Un troll, ça ne questionne pas, ça n’imagine pas, ça ne réfléchit pas. Et plus particulièrement, un troll, ça ne retourne pas à l’école pour apprendre à lire une carte (en se faisant embaucher en tant que prof), et ça ne se lance pas dans une traversée du pays pour aller se balader en zone de guerre et rechercher son frangin ogre… Sinon, où va le monde ? !

Dans une gouaille stylistique assez savoureuse, l’auteure nous livre une parabole fantas(y)ste sur la nature humaine. S’amusant joyeusement avec les clichés attachés aux créatures choisies, elle dresse une satire assez efficace de l’importance de l’éducation, de l’impact de la violence sur une société très hiérarchisée, et du déterminisme social. C’est inattendu, drôle, et on s’y laisse prendre un peu malgré soi. Car s’il y a bien une chose que révèlent les sourires de plus en plus nombreux à la lecture de cette quête initiatique, c’est qu’en chacun de nous s’affrontent troll et ogre. Et que peut-être, si on y réfléchit bien (et eux aussi), existe-t-il quelque chose d’autre, entre les deux…

Maëlle ALAN

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