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Les critiques de Bifrost

Analog/Virtuel

Analog/Virtuel

Lavanya LAKSHMINARAYAN
HACHETTE
23,00 €

Bifrost n° 107

Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107

Le changement climatique aidant, les pays ont dû évoluer. Tous ne sont pas parvenu à se sortir indemnes des désastres du ré­chauffement. En Inde, à Bangalore, c’est une société privée, Bell, qui a pris le contrôle. Et a réparti les habitants en trois grands groupes : les 20 % supérieurs, qui ont tous les privilèges et sont les décideurs ; les 70 % du milieu, qui vivent selon les préceptes de Bell, et tentent d’accéder aux 20 % en faisant croître leur indice de rentabilité ; enfin, les 10 % inférieurs, abandonnés à l’extérieur du bouclier de protection érigé autour de la ville, soumis à une chaleur im­placable et à la pauvreté, et dont les membres sont régulièrement « moissonnés », autrement dit tués afin de récupérer leurs organes. Tout le monde est sous la perpétuelle surveillance des machines qui examinent les progrès et les reculs de la Productivité de chacun, décidant ainsi du sort des citoyens.

Pour faire découvrir sa société de l’intérieur, l’autrice fait vivre au lecteur le quotidien de nombreux habitants. La majorité du roman est en fait une série d’histoires plus ou moins courtes mettant en scène des personnages sans lien entre eux (en tout cas au début, car peu à peu, quelques connexions apparaissent, jusqu’au feu d’artifice final) issus de toutes les catégories. Un panorama en mode mosaïque, en somme, de cette so­ciété soumise aux volontés de quelques-uns, portée par le réseau et ses influenceurs/ influenceuses : des hautes sphères des dirigeants des grandes entreprises et des ré­seaux sociaux, tous dirigés vers la productivité et logés dans la partie protégée d’Apex City, jusqu’aux bas-fonds, de l’autre côté du bouclier électrique, du Méridien carnatique, dans le monde des Analogs. Lavanya Laksh­minarayan dresse des portraits variés de personnages divers, mais aux psychologies malheureusement souvent peu originales. Les habitants d’Apex City sont pour beaucoup des stéréotypes déjà vus ailleurs, ce qui donne à sa ville un côté hélas superficiel, et ceci en dépit du mélange des influences de l’autrice qui contrebalance cet aspect factice avec bonheur.

Reste un patchwork pas toujours bien agen­cé, au rythme bancal, mais attachant dans son message et la fraîcheur de certaines figures. Le côté très ancré dans les réseaux sociaux et leurs codes agace par moments, sans pour autant amoindrir le charme d’une histoire touchante. On aurait aimé vibrer davantage pour les tentatives de révolte des Analogs, réduits à l’état d’animaux par des Virtuels confits dans leur supériorité et suant la suffisance par tous les pores. Mais si la promenade manque parfois de structure, elle marque par son souffle différent de la production courante. Pour les curieux.

Raphaël GAUDIN

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