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Les critiques de Bifrost

Zothique

Zothique

Clark Ashton SMITH
MNÉMOS
288pp - 19,00 €

Bifrost n° 89

Critique parue en janvier 2018 dans Bifrost n° 89

Les éditions Mnémos ont procédé à une levée de fonds dans le fort louable but de publier une intégrale de la fantasy de Clark Ashton Smith. Un projet en quelque sorte similaire, n’étaient la levée de fonds (plus de 90 000 euros, tout de même) et la taille des œuvres considérées, à l'édition « Louinet » de l'œuvre de Robert E. Howard qui fut menée chez Bragelonne – Smith étant bien moins connu qu’Howard. Moins connu qu’Howard, et a fortiori que Lovecraft, certes, mais pas moins talentueux.

La France a découvert Clark Ashton Smith en 1974, plus de dix ans après sa mort, avec le recueil Autres dimensions chez Christian Bourgois. Il fallut encore plusieurs années pour voir paraître un recueil déjà intitulé Zothique en 1978 (dans la collection « Le Masque Fantastique » deuxième série), puis Poséidonis en 1981(en grand format) à la Librairie des Champs-Elysées. Au final, ce seront les Nouvelles éditions Oswald qui accompliront l’essentiel de la tâche, de 1985 à 1989, en publiant huit recueils de C. A. Smith. Après la publication de Morthylla (NéO n°218/219) qui sera aussi le chant du cygne de l’éditeur, Smith allait sombrer dans un purgatoire de vingt-cinq longues années (hors ce qui fut publié par le micro-éditeur La Clé d'Argent).

Mnémos a donc recouru au financement participatif pour extirper Clark Ashton Smith de l'oubli. Il semble exister une édition de luxe réservée aux contributeurs en trois volumes (non vendue en librairie, donc), et une édition grand public qui devrait compter au final cinq volumes et dont le présent Zothique fait l’ouverture. Devraient suivre : Averoigne, Hyperborée, Poséidonis et Autres mondes (pas forcément dans cet ordre).

Zothique est l’ultime continent subsistant à la fin des temps sous un faible soleil rouge qui laisse resplendir les étoiles en plein jour. C’est un pays qui ressemble beaucoup à la « Terre mourante » de Jack Vance. Un monde en proie à la sorcellerie. Où Vance, en cela plus proche de Howard, donne avant tout des récits d'aventures, Smith livre des drames. Si l’aventurier peut se contenter d’être présenté avec une personnalité plutôt sommaire, l’intérêt narratif reposant essentiellement sur les péripéties, le drame exige des personnages davantage élaborés – le drame, justement, survenant parce que le personnage est ce qu'il est. Pas de drame de la jalousie sans jaloux. Le personnage howardien affrontera son horreur les yeux dans les yeux ; taillera le sorcier en quatre et, s’il doit mourir, le fera un révolver fumant dans chaque main. Le personnage lovecraftien type est un antihéros affrontant le plus souvent par inadvertance de telles monstruosités que même si le corps ne trépasse point, l’esprit ne peut que fuir dans la plus noire folie, lâcheté vitale. Lovecraft ne laisse aucune place à l’héroïsme ni, donc, à la tragédie. Où le héros howardien peut connaître une fin tragique, éventuellement choisie, mais nullement méritée, c’est un malencontreux hasard ou l’incurie du personnage lovecraftien qui le confronte à une horreur qui n’est pas à sa mesure. Contrairement à Howard, le sorcier, chez Smith, n’est pas mauvais en soi. Son statut de sorcier ne suffit pas à en faire une incarnation du mal. Chez Smith, l’horreur n’a pas l’incommensurable puissance cosmique que sait lui conférer Lovecraft; elle est en quelque sorte à taille humaine, et si le personnage smithien fini par y succomber, c’est qu’il a en premier lieu succombé à ses très humains défauts que sont l’envie, la jalousie, le lucre, une ambition démesurée et la volonté de puissance. Notons encore que la pièce inédite « Des Morts, tu subiras l'adultère » est sous-titrée « un drame en dix scènes ». On pourrait situer C. A. Smith à mi-chemin entre Howard et Lovecraft, mais il n’est pas vraiment sur la même ligne. Faut-il voir dans cet accent mis sur les personnages la raison faisant que Smith ne jouit pas d’une même renommée que ses confrères révélés par Farnsworth Wright durant l’âge d'or de Weird Tales ?

L’illustration ne rend guère sur l'édition grand public, mais c’est bien le seul vrai défaut d’un ouvrage indispensable où l’on pourra lire quelques-uns des textes les plus connus de Clark Ashton Smith, tel « Le Jardin d'Adompha », « Le Voyage du roi Eurovan » ou « Les Charmes d'Ulua ». Voici donc dans une nouvelle traduction qui se veut définitive de l'œuvre d’un des maître de l'Imaginaire américain du siècle dernier, enfin rendue aux générations actuelles de lecteurs francophones qui n’ont qu’à lui faire honneur pour aborder des contrées littéraires inédites.

Jean-Pierre LION

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