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Les critiques de Bifrost

Yardam

Yardam

Aurélie WELLENSTEIN
SCRINEO
480pp - 20,00 €

Bifrost n° 99

Critique parue en août 2020 dans Bifrost n° 99

Yardam. Une ville aux allures médiévales, avec ses hautes murailles et ses solides portes closes à la nuit tombée… mais proche d’un certain XIXe siècle avec son musée, son hôpital, le Klementinum, ses soirées entre personnes du beau monde. Yardam et sa nouvelle maladie, cette épidémie galopante qui emplit les rues de coquilles : des corps mystérieusement vidés de leur esprit, perdant peu à peu tout trait distinctif, et ne faisant que se tourner vers la Lune. Or ces êtres sans personnalité étaient il y peu encore des habitants de la cité. Emportés par ce virus terrifiant, dont le lecteur découvre rapidement qu’il est transmissible sexuellement : une relation avec un individu contaminé et, à votre tour, vous devenez une sorte de vampire, obligé d’aspirer de nouvelles personnalités pour tenir. Et de les accueillir dans votre cerveau.

Kazan, le voleur, en possède déjà pas mal. Presque trop. Car, au bout d’un moment, cela gronde à l’intérieur. Les prisonniers, conscients de ce qui leur est arrivé et de ce qu’on leur a enlevé, tentent de se révolter. Et le risque, c’est l’explosion : on ne peut plus gérer les conflits internes et on massacre tous ceux qui vous entourent pour finir par se suicider et, enfin être libre. Trouver l’équilibre est donc indispensable, mais pas facile, car pas de professeur pour guider l’impétrant au quotidien. Chacun se débrouille comme il peut. Et Kazan, lui, ne se débrouille plus. Il a peur et voudrait se débarrasser de cette plaie. Aussi, quand un couple de médecins étrangers se présente aux portes de la ville, il leur propose ses services, intéressés. Et se lie avec eux. Au point de franchir le point de non-retour.

Bien connue des lecteurs plus jeunes, Aurélie Wellenstein a déjà à son actif plusieurs beaux romans (dont beaucoup disponibles chez Scrinéo et Pocket pour les poches) davantage destinés à cette catégorie célèbre, mais néanmoins floue des « young adults ». Même si ses livres précédents n’hésitaient pas à aborder des sujets difficiles, avec Yardam, elle attaque des thèmes résolument plus adultes, dont la passion amoureuse et ses ravages, la maladie sexuellement transmissible. Ce roman est avant tout une histoire d’amour et de haine, de passion et de répulsion. En utilisant habilement la maladie, Aurélie Wellenstein met en scène un trio impossible qui va se retrouver indissolublement lié et en même temps tiraillé dans des directions opposées. Les liens qui les unissent sont sans cesse distendus, mis à l’épreuve au gré des situations. Trop, peut-être : l’autrice tire parfois sur la corde et le roman connaît une petite baisse de rythme en son centre, mais cela ne dure pas et la quête reprend.

Quête d’une guérison, quête de la liberté, quête de l’être aimé. Quête aussi de soi-même. Car Kazan est régulièrement à deux doigts de se laisser aller à la folie. Pour lui résister, il use et abuse de la drogue. Mais cela ne suffit pas toujours. Et cette interrogation sur son identité, sur les personnalités qui le composent, qui se partagent son cerveau est subtilement traitée : on croit sans hésiter à l’évolution de Kazan, au gré des évènements, tantôt bourreau, car il a choisi de capturer ces personnalités et de les enfermer à jamais loin de leurs corps, tantôt victime, incapable de gérer ce brouhaha permanent qui l’habite. On souffre avec lui, même s’il n’est pas facile, au début, d’accepter de partager les pensées d’un tueur d’un nouveau genre, un dévoreur d’âme sans cesse en manque. On devient presque l’une de ses personnalités, embarqué avec les autres dans son existence âpre et à la recherche éperdue d’un espoir.

On aurait tort de se fier à l’aspect YA de l’objet livre. Yardam, à la magnifique couverture d’Aurélien Police, est un beau roman, dur parfois, passionnant souvent, qui fait espérer qu’Aurélie Wellenstein tentera à nouveau des incursions dans la littérature « adulte » (quoiqu’on pense de ces classements forcément limitatifs). Une histoire forte et, malgré elle, aux résonances inattendues avec la période actuelle.

Raphaël GAUDIN

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