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Les critiques de Bifrost

Roman hautement singulier, XYZ est demeuré inédit en France plus de quatre-vingts ans. Il aura en effet fallu attendre 2018 pour qu’Allia propose une belle traduction de cet ouvrage péruvien de 1934. Il s’agit, par ailleurs, du premier livre de Clemente Palma (1872-1946) édité en français. Le site Internet < supernaturalfiction.co.uk > nous apprend que cet homme de lettres et politicien péruvien est l’auteur de recueils de nouvelles — Cuentos Malévolos (1904), Historietas Malignas (1925) — ainsi que de romans, parmi lesquels XYZ. Toujours selon la même source, il semble que Clemente Palma ait eu une prédilection pour les littératures de l’Imaginaire. Ses textes courts sont présentés comme oscillant entre fantastique fin de siècle et épouvante grinçante, dans la lignée des Contes cruels de Villiers de l’Isle-Adam. Et l’ombre du Français plane encore sur le science-fictionnel XYZ, ce dernier constituant une relecture andine de L’Ève future, ainsi que Clemente Palma l’annonce dans le prologue…

S’ouvrant aux États-Unis, à l’aube des années 1930, XYZ a pour protagoniste l’étonnant Rolland Poe. Présenté comme un authentique descendant du père du fantastique étasunien, ce personnage évoque encore l’univers de Jules Verne ; un auteur lui aussi explicitement cité dans ce roman à l’intertextualité dense et assumée. Surnommé « docteur Xyz » du fait de ses immenses talents mathématiques, l’homme a accumulé grâce à eux une considérable fortune. Semblable aux excentriques millionnaires et géniaux chers à Jules Verne, Poe se retire un jour sur une île déserte du Pacifique. Là, il apporte les ultimes perfectionnements à une invention associant à la technologie cinématographique les pouvoirs insoupçonnés du radium. La combinaison du 7e Art et de la radioactivité lui permettant, in fine, de « fabriquer une humanité artificielle » dont les membres sont nommés les « androgènes »… Plus pataphysicienne que vériste, cette « invention scientifique aussi merveilleuse qu’hallucinante » tutoie encore le surréalisme. Faisant des films hollywoodiens sa matière première, le savant démiurge crée en effet des androgènes imitant à la perfection les stars d’alors. Et l’île du docteur Xyz se peuple ainsi de clones de Greta Garbo, de Rudolph Valentino ou bien encore de Joan Crawford ! D’abord secrète, l’entreprise frankensteinienne de Poe sera bientôt découverte par quelques « Mogols » d’Hollywood. Elle connaîtra alors une issue fatale lors d’un final évoquant, à son inédite manière, celui de King-Kong

Sous-titré « Roman grotesque », XYZ est porté par une écriture séduisante, à la fois raffinée et distanciée. Si celle-ci lui confère une couleur ostensiblement ironique, elle n’en limite pas pour autant la portée réflexive. Allégorique, la science-fiction de XYZ explore d’une stimulante manière les différentes formes de la domination : masculine, raciale, économique ou médiatique. Préfiguration romanesque de La Société du spectacle de Guy Debord, XYZ s’impose comme un fort beau croisement entre Imaginaire et pensée critique.

Pierre CHARREL

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