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Les critiques de Bifrost

Women in chains

Women in chains

Thomas DAY
ACTUSF
208pp - 12,00 €

Bifrost n° 100

Critique parue en octobre 2020 dans Bifrost n° 100

Women in chains propose cinq nouvelles, situées dans cinq pays différents, s’articulant autour d’une constante universelle : les violences faites aux femmes. Leur dimension imaginaire, science-fictive ou fantastique, éclaire, d’une lumière crue et froide, leurs destins brisés avec, le plus souvent, la mort au bout du chemin ou, plus rarement, le mince espoir d’une vie meilleure. Un tour du monde des horreurs et de la noirceur de l’âme humaine introduit par Catherine Dufour dans une préface percutante intitulée « Guide du queutard, guide du désespoir ». Direction Juárez au Mexique et ses centaines, si ce n’est plus, de disparues, anonymes, que personne ne recherche pour « La Ville féminicide » — le titre, explicite, ne ment pas. La ville y est dépeinte par le prisme de la violence, celle du principal protagoniste s’ajoutant à celle des cartels et des proxénètes. La vie d’une femme n’y vaut pas grand-chose. Basé sur une réalité, ce premier texte agit comme un électrochoc brutal et implacable. Dans « Eros-center », la violence, plus subtile, tient à la fois à la condition de Joy / Félicité, prostituée camerounaise qui enchaîne les passes dans une maison close de Francfort en rêvant de devenir styliste – métier pour lequel elle est douée –, et au pouvoir qu’a sur elle son proxénète et marabout M. André. Un jeune immigré turc, idéaliste amoureux fou, décide de la sauver. La construction, non chronologique, peut paraître artificielle, mais la description presque clinique de la cérémonie d’envoûtement et le réalisme sordide mis en lumière ici marquent les esprits. « Tu ne laisseras point vivre » met en scène Cassandra, exilée volontaire au Groenland pour conjurer une malédiction familiale, capable de voir l’avenir, y compris sa propre mort, à chaque orgasme. Gare à celle qui voudrait vivre sa vie comme elle l’entend. La justice divine ou plutôt l’intolérance humaine, expéditive, y mettra fin. « Nous sommes les violeurs » est un recueil de témoignages, fictifs mais très réalistes, et absolument glaçants, d’une bande de mercenaires chargés d’éradiquer la culture du pavot. Aux armes traditionnelles que sont les drones chargés de poisons et les armes à feux s’ajoutent les viols et une argumentation visant à les légitimer. Cette nouvelle est probablement la plus dérangeante du recueil, en partie parce que les violeurs ont négocié une immunité totale. Le dernier texte, « Poings de suture », nous ramène en France, où le combat de boxe par robots interposé permettra à une femme battue de se libérer totalement et de se reconstruire. Une manière de terminer ce court recueil sur une note optimiste. Ici, la violence symbolique se fait catharsis.

Women in chains est une dissection précise et minutieuse, rude et acérée, portée par une plume mordante, des trop nombreuses ignominies faites aux femmes. Si la fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et s’en dire innocent, alors nul doute que Thomas Day peut se prévaloir de cette qualité. Cette « petite pentalogie des violences faites aux femmes » est une lecture dont on ne sort pas indemne.

Karine GOBLED

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