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Les critiques de Bifrost

Way Inn

Way Inn

Will WILES
LA VOLTE
20,00 €

Bifrost n° 93

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

Les congrès professionnels : un plaisir pour certains, une corvée pour la plupart. Surtout quand ils se multiplient. Heureusement, Neil Double et sa petite entreprise proposent une nouvelle gamme de services. Il peut, moyennant finances, remplacer le congressiste pendant cette épreuve. Il suit les conférences préalablement choisies et fait un rapport quotidien complet. Plus besoin de perdre son temps dans les avions. Plus besoin de se forcer à sourire à tous ses collègues et concurrents aux dents longues. Plus besoin d’affronter ces hôtels identiques, sans âme, où les couloirs, les bars, les salles de réunion se ressemblent d’un bout à l’autre de la planète.

Pour Neil Double, au contraire, ce métier est un rêve. Là où une majorité voit, dans ces chaînes d’hôtels, une uniformisation pénible et déshumanisante, lui se délecte de ce côté prévisible, de l’aspect toujours neuf et propre des chambres. Il aime cette ambiance impersonnelle. Elle le rassure et lui rappelle son père, voyageur de commerce. Mais la mécanique bien huilée ne tarde pas à connaître des ratés quand il est découvert… En effet, son métier pourrait bien mettre en danger les organisateurs de congrès ; un risque que ces derniers ne peuvent se permettre. Aussi vont-ils bannir Neil Double de leur circuit. L’univers bien réglé de notre (anti)héros vole alors en éclats, et le voilà qui découvre peu à peu une réalité terrifiante, réalité qui n’est pas sans évoquer celle du Brazil de Terry Gilliam ou de l’univers de Kafka.

Après Attention au parquet ! (très bon roman hors SFFF paru chez Liana Levi en 2014), Way Inn, deuxième ouvrage de Will Wiles, montre la même attention portée aux objets et bâtiments de notre quotidien. Les humains y jouent d’ailleurs un peu les seconds couteaux, passant après le décor où ils évoluent, auquel ils réagissent. L’auteur, outre sa carrière de jeune écrivain, collabore à une revue d’architecture et de design. Un intérêt qui ne manque pas de transparaître ici, une partie non négligeable du récit étant consacrée à l’observation et à la description de l’hôtel où loge Neil Double, de la « non-zone » qui l’entoure et du palais des congrès. Mais pas d’inquiétude ! Tout cela se fait sans ralentir la lecture, sans lasser le moins du monde. On a vraiment l’impression d’être dans cette chambre, de fouler cette moquette, de découvrir par la fenêtre cette friche inhumaine peuplée de véhicules pressés sans conducteur apparent. Ainsi, quand les évènements vont se précipiter (ce qu’ils font bel et bien, allant crescendo, et ce jusqu’à l’haletant dans le dernier tiers), l’essentiel passera par le décor. Et des images du Shining de Stanley Kubrick de revenir des tréfonds de la mémoire. Ces longs couloirs filmés à hauteur de petit garçon – à hauteur de Danny. Et l’angoisse de surgir et d’emporter le lecteur.

On peut s’interroger sur ce qui lie Will Wiles à ces témoins sans âme d’une mondialisation dépassionnée, la nature des événements qu’il traversa pour éprouver à leur encontre des sentiments si ambivalents — amour et répulsion mêlés. Mais on ne peut passer à côté de ce roman original, prenant et effrayant. Assurément, oui, nul ne regardera plus du même œil blasé sa chambre d’hôtel…

Raphaël GAUDIN

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