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Les critiques de Bifrost

Utopiales 2020

Utopiales 2020

Adélaïde LEGRAND, Caroline DE BENEDETTI, Lionel DAVOUST, Morgan OF GLENCOE, Thomas C. DURAND, Sara DOKE, Nicolas MARTIN, Ïan LARUE, Christophe DOUGNAC, Joëlle WINTREBERT, Baptiste BEAULIEU, Claude ECKEN
ACTUSF
392pp - 15,00 €

Bifrost n° 102

Critique parue en avril 2021 dans Bifrost n° 102

À celles et ceux qui restent inconsolables suite à l’annulation de l’édition 2020 des Utopiales pour cause de reconfinement, on peut toujours leur conseiller de se rabattre sur la lecture de son anthologie officielle. À condition de préciser d’emblée que le meilleur y côtoie le pire et qu’aucun remboursement ne sera accepté.

Le pire, outre une préface imbitable à force de jargonnage pédant, est sans conteste « T.H.R.A.C.E.S. » de Christophe Dougnac, esquisse de brouillon d’ébauche de nouvelle mêlant, comme c’est original, Minority Report et Inception, torchée en quinze minutes douche comprise dans un non-style qui aurait valu à ce machin une lettre de refus pleine de gros mots de la part du moins regardant des fanzines périgourdins.

Trois crans au-dessus tout de même, l’errance musicalo-nocturne de Sara Doke, « The Agony in the ecstasy », aurait pu figurer en bonne place dans un journal lycéen des années 80. De là à expliquer sa présence dans ces pages…

De fait, il est permis de s’étonner du peu de place qu’occupe cette année la SF dans l’anthologie officielle (c’est marqué sur le bandeau) d’un festival de… science-fiction. « Somme-nous pieuvres ou vampires ? » par exemple, de Ïan Larue, ne se rattache que de manière toute métaphorique au genre. Ça n’en fait pas un mauvais texte pour autant, il en tire même une bizarrerie qui lui va assez bien, mais sur la longueur la prose de la dame et les jérémiades de ses protagonistes finissent par lasser.

Dans la catégorie « ni SF ni réussi », on rangera également « Les Cinq marches » de Baptiste Beaulieu. Pourtant, il y a au cœur de cette nouvelle une idée absolument géniale, une théorie du complot qui ferait passer les délires QAnon pour de pertinentes et mesurées hypothèses. Hélas, d’une part l’auteur n’interroge pas suffisamment les conséquences induites par une telle idée, d’autre part il développe son argumentation dans le cadre d’une tragédie intime qui ne semble pas à sa place ici.

Toujours pas SF mais autrement plus convaincant, « Une Forme de démence » de Lionel Davoust, superbe récit sur la fin de parcours d’un écrivain, auteur d’une œuvre majeure de la fantasy. À la fois réflexion sur la création artistique et portrait tout en élégance et retenue d’un homme au soir de sa vie, on tient là le plus beau texte de l’anthologie. Ceci dit, c’était déjà le plus beau texte de Destinations, l’anthologie des Imaginales 2017.

Enfin, dans la catégorie « mais où veux-tu que je range ça ? », on ne boudera pas « Le premier Chapeau » de Thomas C. Durand, texte archéologico-chapelier (sisi) à l’écriture et aux dialogues en particulier vifs et amusants, dont il est tout de même permis, au terme de sa lecture, de se demander pourquoi.

Côté science-fiction, on n’échappera pas au récit post-apocalyptique de saison, que l’on doit à Morgan of Glencoe : « La Piste des oiseaux ». Rien de bien original à l’horizon de sable et de ruines, même si le propos de l’autrice sur l’importance de la culture dans un tel monde sinistré le rend plutôt sympathique.

Plus proche de nous, Nicolas Martin (devenu un habitué de cette antho) signe un très réussi « La Mémoire de l’univers », dans lequel il mêle cosmologie et drogues de synthèse. Le bougre maîtrise autant son sujet que son écriture et ses personnages, et le résultat est enthousiasmant. Il n’y a guère que la chute à ne pas tout à fait convaincre, mais dans le cadre qu’il a choisi la fin est toujours casse-gueule.

Très réussie également, « Te retrouver » de Joëlle Wintrebert, où comment les progrès technologiques appliqués à la médecine vont bouleverser de manière inattendue les sentiments d’une femme pour l’homme qu’elle aime. Aussi à l’aise dans l’examen des émotions de sa narratrice que dans la prospective à court terme, l’autrice signe un texte qui fonctionne sur tous les plans.

Terminons par un autre habitué, Claude Ecken, qui dans « La Présence » revisite le thème du fantôme sous l’angle de la science, avant de pousser son récit dans une direction inattendue. Comme chez Wintrebert, on trouve dans cette nouvelle une maîtrise impeccable, quel que soit l’angle sous lequel on l’observe.

Ne serait-ce que pour ces trois derniers textes (et le Davoust pour les retardataires), Utopiales 20 vaut ses 15 euros.

Philippe BOULIER

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