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Les critiques de Bifrost

Un an et un jour

Un an et un jour

Pascal BRUCKNER
GRASSET
18,00 €

Bifrost n° 94

Critique parue en avril 2019 dans Bifrost n° 94

Le père de Jézabel était un homme convaincu : « Dieu a inventé les montres pour capter le temps et Il a inventé le temps pour punir les hommes. » Toute sa vie, cet ancien pasteur rigoriste et (trop) traditionnel de Haute-Savoie s’est passionné d’horlogerie, sacrifiant famille et fortune à cette passion. Aujourd’hui, le père de Jézabel est mort. Et, même s’il manquera peu à sa fille, cette dernière, qui s’était éloignée de lui, décide d’honorer la promesse qu’il lui a extorquée quand il agonisait : elle livrera à un ami joailler au salon de l’horlogerie de Québec le fruit des recherches paternelles, la montre Révélation.

Manque de chance, l’avion dans lequel elle s’est embarquée est détourné à cause d’une tempête hivernale. Obligée de se réfugier dans une ville isolée du nord des États-Unis, la jeune femme descend au Plazza, un vieil et immense hôtel autrefois luxueux. Le tarif est exorbitant, mais bon, pour une nuit… Et le cauchemar absurde commence : à son réveil, on lui annonce qu’elle est restée un an endormie, et qu’elle doit maintenant payer la note. Jézabel, prof de maths, n’a évidemment pas les moyens de régler le montant faramineux qu’on lui réclame. Elle est donc condamnée, sans autre forme de procès, à des travaux forcés au sein de l’hôtel. Maintenue prisonnière par un bracelet électronique de cheville, elle commencera sa peine comme femme de ménage dans les étages les plus hauts, et devra faire ses preuves tous les jours pour évoluer au sein de la hiérarchie des autres détenues, et ainsi descendre et se rapprocher de la porte de sortie. Quant à la montre, qui serait finalement sans valeur financière, elle a été réquisitionnée par l’une des directrices du personnel qui tente en vain de percer un mystère qu’elle devine…

L’idée de départ était plus qu’accrocheuse. Malheureusement, ce court roman n’est pas sans rappeler un grand bazar que croque-rait à la va-vite John Irving, avant que ne l’adapte un Wes Anderson d’humeur pour une fois sombre et je-m’en-foutiste, s’inspirant pour l’occasion d’un brin de Terry Gilliam mal réveillé un lendemain de cuite. C’est peut-être alléchant pour certains, mais la recette ne prend pas à toutes les cuissons… Dès les premières pages manquent ce grain de folie qui épice la sauce et fait qu’on en redemande, ce petit goût d’absurde dangereux qui rend accro. Le récit erre souvent sans but, sans héroïne et sans repère. Quel dommage que cette femme perdue et dupée n’ait de biblique que son prénom, qui promettait pourtant une belle allégorie quand on l’associait à la montre au nom apocalyptique ! On aimerait secouer un peu Jézabel pour la débarrasser de sa naïveté ; on se surprend à simplement ne pas l’aimer, faute de la détester, car en perdant sa liberté, elle semble aussi avoir perdu toute profondeur. Qu’elle choisisse de ne garder que le diminutif de Jazz en abandonnant peu à peu son identité est peut-être révélateur : et si toute cette histoire n’était qu’une variation improvisée sur des motifs connus ? La mélodie étrange, déconstruite et discordante d’un rêve flou ? Cela expliquerait les déséquilibres du récit, l’absence de consistance de certains personnages face à l’abondance de détails pour d’autres, cet air vaguement classique d’un système carcéral tyrannique opposé à un doute final sur la réalité des événements narrés, une recherche de sens psychanalytique… Mais l’heure tourne vite, les pages sont peu nombreuses, et la musique sans surprise se perd dans les questions laissées sans réponse, ne laissant qu’une envie : celle de remonter le temps pour rêver encore aux promesses de ce roman.

Maëlle ALAN

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