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Les critiques de Bifrost

Choisissez cinq adolescents à maturités variées dans une petite ville canadienne. Accolez-leur un chef-scout médecin et placez-les sur une île déserte au nom shakespearien parfaitement et ironiquement choisi afin qu’ils y découvrent les joies du camp de survie. Après une journée de mise en situation, ajoutez, à l’aide d’un bateau volé, un homme d’une maigreur au-delà de toute imagination, et dont le seul objectif semble être de se nourrir de tout ce qui lui tombe sous les dents, comestible ou non. Présentez-le au médecin, semez dans la tête de ce dernier l’idée d’opérer un malade incurable et dangereux. Autorisez-le à pratiquer l’intervention sauvage, secondé par l’un des adolescents. Secouez-les par la découverte d’un ver parasite génétiquement modifié, doué d’une intelligence bestiale redoutable, de capacités de reproduction et d’adaptation exponentielles, et d’un insatiable appétit. Achevez au passage votre squelette ambulant, et laissez incuber quelques heures. Éliminez ensuite le seul adulte de la recette, et faites mijoter les adolescents, désormais seuls. Épicez à la Golding avec une finesse psychologique féroce, et exaspérez les peurs, doutes et désirs les plus intimes de vos personnages. Laissez-les reposer et s’imprégner chacun à leur façon de l’exsudat obtenu. À l’apparition de la folie, favorisez l’action. Commencez à couper dans le vif, et à vous jouer du seuil de souffrance tolérable de vos marionnettes adorées. Effacez de leur esprit l’intérêt du groupe au profit d’une lutte personnelle désespérée contre les éléments, contre la maladie, contre les autres, contre l’inconnu et, surtout, contre soi-même. Profitez-en pour démolir les clichés de la série B tout en flirtant avec elle, et saupoudrez d’une empathie dérangeante qui trouble davantage les frontières entre raison et aliénation, amour et haine.

Tout au long de la préparation, mélangez les ingrédients à l’aide d’un style soigné, sans fioritures, nerveux et allant toujours droit au but. Assaisonnez d’une pincée de documents (articles de journaux, procès-verbaux, rapports psychiatriques…) qui élargissent la compréhension du récit et le rendent encore plus sinistre, et versez dans le moule Stephen King, taille Carrie.

Enfin, parsemez d’un fort soupçon de cruauté et nappez généreusement de gore. Servez aux lecteurs délicieusement horrifiés, amusez-vous de leur répugnance doublée de fascination admirative pour ce récit cauchemardesque, et regardez-les manger, manger, MANGER, MANGER…

Maëlle ALAN

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