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Les critiques de Bifrost

Trois coeurs battant la nuit

Trois coeurs battant la nuit

Aurélien MANYA
GALLIMARD
15,00 €

Bifrost n° 103

Critique parue en juillet 2021 dans Bifrost n° 103

2054 : Marseille, capitale… On est plus chez Philippe Pujol que chez Marcel Pagnol. En fait, c’est bien pire : nous voici dans une société de surveillance hautement militarisée qui mord sur les libertés individuelles. Paris a déclaré son indépendance et vit retranchée derrière de gigantesques murs. En conséquence, la cité phocéenne est devenue le centre du pouvoir de ce qu’il reste de l’Hexagone. À un détail près : une organisation fasciste, la France Brillante, a pris le contrôle du sud de la ville. Une rébellion mène le combat, simultanément sur les deux fronts. Sans oublier qu’il fait dans les 50°C. La faute au réchauffement climatique et à une sacrée catastrophe chimico-industrielle survenue quelques années auparavant.

Dans cet étau moite, les candidats à la migration ont changé d’horizon. La toute jeune République du Maroc fait office de pays de cocagne, mais la Catalogne indépendante n’est pas trop mauvaise accueillante non plus. Le postulat Europe à l’agonie vs Afrique prospère a déjà donné plusieurs romans – Aux États-Unis d’Afrique d’Abdourahman Ali Wabéri, ou plus récemment Rouge impératrice de Léonora Miano (cf. Bifrost 97). En élargissant à l’Occident en général, citons lanovella Le Continent perdu de Norman Spinrad (cf. Bifrost 73). Ici, le court format du texte et le resserrement de l’action dans un temps bref ne permet pas autant de détails et de réflexions sur les conséquences de ce basculement. On apprendra juste quelques détails sur le pourquoi du comment de la prospérité du Maroc dans les dernières pages.

Le cœur du récit réside dans le triangle asymétrique et mouvant reliant les trois personnages principaux. Sohan est dans la rébellion et veut fuir ; Stella est prisonnière d’un camp fasciste ; Layla travaille dans un bar clandestin. Entrecoupées de souvenirs permettant de présenter un peu mieux les personnages, chaque parties se placent sous les signes de la tension et de la nuit. Le choix des prénoms des protagonistes s’avère significatif, renvoyant à la nuit et aux étoiles dans différentes langues, pas une mauvaise idée. A contrario, nommer le chef des fascistes « Nepel » n’est pas la plus fine des idées, tant le cryptage est pauvre.

Titre et résumé laissent penser que tout va se passer sur le temps d’une nuit. Ce qui n’est pas vraiment le cas, rompant la promesse de l’exercice de style menant à faire progresser une histoire commune en changeant de focale à chaque partie. À ce titre, le dernier chapitre est surprenant, d’autant plus par la nature de son contenu. Sans entrer trop dans les détails, il y a une touche pas du tout science-fictive qui s’invite et qui donne deux « belles » résolutions en mode deus ex machina . Ce qui relève plus d’une volonté de l’auteur que d’une facilité narrative, mais que l’on peut regretter.

Malgré quelques trouvailles sympathiques (la « graisse étoilée » anti-repérage, par exemple), il s’agit d’un court roman qui ne restera pas dans les mémoires. La plume d’Aurélien Manya est agréable et il a l’heur de trouver quelques belles images (tel ce tank retourné comparé à un scarabée bloqué sur le dos), mais ses personnages sont un peu fades et la tension supposément permanente n’a rien de bien étouffant – malgré la violence traversant les pages. Le rapport ténu entre les prénoms et l’évolution de l’intrigue donne une saveur de « conte » à ces pérégrinations sauce dystopie. Mais pas bien piquantes.

Mathieu MASSON

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