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Les critiques de Bifrost

Tresses - Souvenirs du Narratocène

Tresses - Souvenirs du Narratocène

Léo HENRY
DIS VOIR
25,00 €

Bifrost n° 97

Critique parue en janvier 2020 dans Bifrost n° 97

Les éditions Dis Voir publient des ouvrages sur la culture contemporaine dans les domaines des arts. Leur collection de contes illustrés ambitionne d’introduire par la fiction un partage d’imaginaire entre les plus récentes recherches en science, la littérature et l’art. Au cas présent, Léo Henry s’est inspiré des travaux d’Hervé le Guyader, professeur de biologie évolutive qui a théorisé les mécanismes d’érosion de la biodiversité, autrement dit de l’extinction des espèces. Illustré sobrement par Denis Vierge, le tout constitue une variation brillante (et pas donnée !) sur le genre bien encombré de la fiction post-apocalyptique.

L’histoire en est toute simple : une succession de crises climatiques, d’épidémies, de guerres pour les ressources, a décimé la majeure partie de la population de la planète. Une poignée de survivants s’est réfugiée dans les Serres, qui tiennent à la fois du «  bunker, du laboratoire et de la cité utopique ». Génération après génération, les habitants de ces univers de poche savamment contrôlés tentent de maintenir intact le savoir humain et de perpétuer les différentes formes du vivant. Depuis leurs bastions, ils envoient régulièrement vers le Dehors, c’est-à-dire à la surface d’un monde rendu à la sauvagerie et au chaos primordial, des missions d’exploration afin de récupérer des matériaux utiles, mais surtout d’accroitre la somme de leurs connaissances, dans une perspective plus ou moins lointaine de recolonisation.

La narratrice, bibliothécaire, appartient à l’un de ces corps expéditionnaires. Le récite relate son périple dans une île volcanique envahie de végétation, dont les hauteurs sont occupées par une tribu d’hommes ayant régressé vers une forme d’animalité. L’exploratrice ne voit d’abord en eux que des êtres incultes et quasi mutiques, communicant de façon inintelligible, aimant la paresse et les jeux plutôt que l’apprentissage de la connaissance. D’abord distante, voire indifférente à la présence de cette étrangère, la tribu livre progressivement son secret…

Sur une planète qui ne cesse d’être pillée et saccagée par l’inconscience industrieuse d’hommes obnubilés par le progrès et le rendement, le futur imaginé par Léo Henry a moins valeur de prophétie que de miroir : nous y sommes, en fait. Comme dans le roman, nous pouvons d’ores et déjà et à tout instant être contraints de nous abriter sous serres pour essayer de ne pas disparaître. En nous invitant à considérer la diversité et la beauté de nos écosystèmes, y compris dans ses formes de vie les plus primitives ou dans ses aspects inertes ou intangibles (intégrant, selon le point de vue de l’auteur, la fiction), Tresses, souvenirs du narratocène s’interroge en réalité moins sur le devenir du monde que sur les capacités de ce dernier à survivre à un effondrement de plus en plus plausible. Pour le dire autrement, le narratocène a déjà commencé.

Sam LERMITE

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