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Les critiques de Bifrost

Terre errante

Terre errante

Cixin LIU
ACTES SUD
80pp - 9,00 €

Bifrost n° 98

Critique parue en mai 2020 dans Bifrost n° 98

Faut-il se réjouir de la publication de textes courts ? L’élan premier, enthousiaste et naturel, nous fait dire que oui, deux fois oui, bien sûr. Et pourtant… Hors Bélial’ (éditeur dont je ne détiens aucune action), le récent passé éditorial m’incite à la prudence. Côté chinois, le fort bien nommé L’Insondable profondeur de la solitude de Hao Jingfang m’est tombé des mains, selon l’expression consacrée pour dire qu’on ne finit pas un bouquin chiant comme la mort. Grand moment de solitude. Quant au coté Ouest, le recueil de Charlie Jane Anders qui nous refile comme fantasy la resucée d’une vieille opérette d’Offenbach – elle-même tirée d’Esope —, c’est faire preuve d’un certain mépris, dirons-nous ; peut-être là-bas, outre-Atlantique, n’a-t-on jamais entendu parler d’Offenbach, de ses librettistes, ni même d’Esope… mais on s’autorisera à en douter ! Hormis la première nouvelle, il n’y a rien à sauver. Ce recueil est fort heureusement très court et c’est bien là son unique qualité. Alors ?

Terre errante sent la naphtaline : le thème en est vieux comme la SF. On a là le croisement de L’Envol de Mars de Greg Bear et Le Soleil va mourir de Christian Grenier. Liu Cixin nous offre ici une variation de plus sur le thème rebattu (mais peut-être pas en Chine ?) du roman catastrophe. La seule catastrophe qui puisse détruire la planète – n’en déplaise à ceux qui prétendent la sauver –, à ceci près que Cixin, à l’instar de Grenier, avance l’échéance de cinq milliards d’années. En bon vieux lecteur de SF, on va faire comme si on y croyait, ce qui est le postulat de base pour lire de la science-fiction. Ne perdons pas de vue non plus que cette nouvelle fut écrite en l’an 2000, alors que l’on venait tout juste de découvrir les premières exoplanètes. Liu Cixin va très sérieusement progresser pour écrire « Le Problème à Trois Corps », notamment dans l’élaboration des personnages. On est à des millions de signes d’un Stephen King – qui en fait trop, soit dit en passant. Le personnage subit les événements, témoigne, raconte. Sa mère meurt, son père meurt, il va aux Jeux Olympiques, se marie, a un fils, sa femme meurt, le petit chien meurt… euh, non, pas de clebs. De tout cela, Cixin ne nous fait rien ressentir, totalement distancié. On assiste, avec le personnage, aux diverses calamités qui s’abattent sur une Terre cherchant à prendre son essor… C’est en fin de compte un récit très optimiste, surtout en regard de la trilogie alors à venir. Terre errante relève d’une SF plutôt archaïque plus ou moins ajustée techniquement. Soldons la quatrième de couverture : non, Liu Cixin ne manifeste pas dans cette nouvelle vieille de vingt ans le talent que l’on retrouvera dans « Le Problème à Trois Corps ». Je n’ai pas vu le film The Wandering Earth qui a été tiré de ce texte et a, semble-t-il, connu un certain succès, mais gageons que les scénaristes ont dû rajouter une bonne couche de pathos bien larmoyant pour captiver le spectateur et faire pleurer dans les chaumières. On peut écrire comme un pied, avec des personnages en silhouettes découpées dans du papier journal, des récits juste soutenus par l’intérêt technique et moissonner les prix, à l’instar de Rencontre avec Rama, mais n’est pas Arthur C. Clarke qui veut !

Certes, ça se lit. Mais c’est plutôt décevant après « Le Problème… ». Reste à espérer que le recueil à venir sera plus récent et de meilleure tenue, et que cet extrait a été choisi en raison du succès du film et non de ses qualités intrinsèques. Wait and see. En attendant, on passe. Ça fera toujours 9 balles d’économisés.

Jean-Pierre LION

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