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Les critiques de Bifrost

Décidément, la collection « Terres d'Amérique » réserve toujours de bonnes surprises. Après Craig Davidson et son excellent recueil, Un goût de rouille et d'os, voilà une autre révélation littéraire : Sous la bannière étoilée de Benjamin Percy, un jeune écrivain qui fonce droit dans le tas, sans faire de manières, et nous assène avec force quelques vérités bien senties sur l'Amérique d'aujourd'hui. Et là aussi, il s'agit de nouvelles.

Au programme, dix textes à l'écriture nerveuse, aux thèmes dérangeants, avec pour unique décor les vastes paysages désertiques de l'Orégon. Benjamin Percy a grandi dans cette région de l'Amérique. Et à la lecture de son recueil, on s'en rend compte. Car tout sonne vrai : personnages, situations, lieux décrits… On sent que Percy sait de quoi il parle. Ce qui donne à ses nouvelles une authenticité et une densité assez rares. On y est et on y croit. D'autant plus que Percy ne fait pas le malin. Il raconte crûment. Il écrit à hauteur d'homme, sans effets racoleurs, mais avec une foi totale, une conviction absolue.

Tout commence avec la nouvelle qui donne son nom au recueil, « Sous la bannière étoilée ». À Tumalo, une petite ville de l'Oregon, les pères de familles, réservistes pour l'armée, sont partis combattre en Irak. Deux jeunes garçons décident de mener leur propre guerre. Leur cible : un sergent recruteur qu'ils jugent responsable du départ de leurs pères… Dans « Les Bois », un père et un fils qui ne parviennent pas à communiquer partent chasser dans la forêt. Ils y découvrent le cadavre d'un homme, puis d'un deuxième. Au cœur de cette forêt qu'ils croyaient connaître, les voilà devenus un simple gibier confronté à la menace d'un prédateur invisible et impitoyable. Et cette fois, père et fils vont devoir faire front ensemble… Dans une autre nouvelle, intitulée « Les Grottes », un couple se déchire violement autour du souvenir d'un enfant mort-né. Pour redonner un sens à leur vie commune, il leur faudra traverser une étrange épreuve : pénétrer dans une grotte où vit une communauté de chauve-souris ; des chauves-souris dont la physionomie ressemble bizarrement à celle de leur bébé mort… Et dans « Les Liens du sang », un vieil homme, ancien combattant du Vietnam reconverti en taxidermiste, va régler à sa manière les problèmes conjugaux de sa fille Anne. Cette nouvelle, forte et intense, chargée d'émotions retenues, de non-dits entre un père et sa fille, est d'ailleurs très révélatrice. Ici, les « liens du sang » est une expression à prendre au sens littéral : le vieil homme communie avec son petit fils, Cody, en lui apprenant à dépecer des cadavres d'animaux, et quand il s'agit d'aider sa fille à la dérive, il n'hésite pas à faire couler le sang. C'est d'ailleurs une constante de ce recueil. Les nouvelles de Benjamin Percy n'ont rien du conte de fée. Les rapports humains ne sont pas simples, et conduisent souvent à une violence extrême. Et bien sûr, malgré le fait que l'intrigue de chaque nouvelle se situe dans l'Orégon, les thèmes abordés par Percy recouvrent une réalité qui s'étend à toute l'Amérique : traumatismes liés au conflit en Irak, obsession des armes à feu, et poids des traditions dans les rapports familiaux. À la manière de beaucoup d'autres écrivains, Percy braque sa loupe sur une région précise de l'Amérique, mais pour mieux nous parler de nous. Des hommes. Des femmes. Vieux ou jeunes. Pères, mères, et enfants. Et même si certaines nouvelles sont plus faibles, moins percutantes (« Crash », « Murmure »), et même si « Fusion », une nouvelle résolument S-F (l'action se passe en 2015, dans une ambiance post-apocalyptique à la Mad max), ne convainc pas entièrement, il n'y a aucun doute sur le fait que ce Benjamin Percy, c'est de la graine de grand écrivain, de ceux qui vous retournent l'épiderme en quelques phrases. Il en donne une preuve supplémentaire avec le dernier texte du recueil, « Quand l'ours est venu », ou comment un ours tueur vient bouleverser l'existence trop tranquille d'une petite ville Américaine. En résumé, Sous la bannière étoilée est un recueil qui mérite largement le détour, et qui impose d'emblée Benjamin Percy comme un auteur à suivre de très près.

Xavier BRUCE

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