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Les critiques de Bifrost

Quatorze crocs

Quatorze crocs

Martin SOLARES
CHRISTIAN BOURGOIS
192pp - 18,00 €

Bifrost n° 99

Critique parue en août 2020 dans Bifrost n° 99

1931, Paris. Pierre Lenoir est un inspecteur de la très spéciale Brigade Nocturne, une unité d’élite de la police chargée de s’occuper des affaires impliquant ces non-morts qui habitent, parfois en grand nombre, dans les villes modernes. Cette fois, c’est un homme mort qui est retrouvé en pleine rue, visage verdâtre et cou percé de quatorze petits trous. Qui est-il ? Qui l’a tué ? Comment ? Et pourquoi ? C’est à ces questions que va tenter de répondre Lenoir, sacrifiant ici aux interrogations habituelles du whodunnit. Ce qui est moins conventionnel, c’est l’intervention d’un fantôme facétieux, d’une vampire séduisante et bien en cour, ainsi que de quelques créatures surnaturelles peu recommandables. Ce qui l’est encore moins, c’est que l’enquête va conduire Lenoir à côtoyer un monde qui lui est radicalement étranger : celui dans lequel se confrontent surréalistes et dadaïstes, auprès notamment du vicomte de Noailles et sa femme. Lenoir devra donc faire preuve de courage physique pour aller au contact de monstres surnaturels, et d’ouverture d’esprit pour naviguer sans encombre dans les eaux tumultueuses aussi créatives que superficielles de l’art moderne.

Arrivant à la fin de Quatorze crocs, j’avais le sentiment que le roman n’était pas fini. Pourtant, de fait, il l’était. Cette étonnante mésaventure est le point central de ce qui dysfonctionne dans Quatorze crocs. Solares y mêle des créatures fantastiques (dont on ne comprend jamais vraiment si les Humains ont conscience ou pas de leur existence ou si cette connaissance est limitée à l’élite mondaine) au Paris des arts. Il les met en scène, sans jamais les développer au-delà de la caricature, dans le cadre d’une enquête résolue avec bien trop de facilité. De fait, après un début peu captivant, le roman tourne autour d’un grand moment central : une soirée chez les De Noailles à laquelle assistent surréalistes et dadaïstes. De Breton à Tzara en passant par Picasso et tous leurs amis, amies, femmes, maîtresses, Solares s’amuse donc à faire un name dropping intensif qui ne sert guère l’avancée du récit (il le fait aussi avant avec le fantôme de Pasteur ou celui de Wilde). Puis, après un passage dans le studio de Man Ray (avec Kiki de Montparnasse) à la recherche du fameux fer à repasser à quatorze clous de l’artiste (qui n’est pas retrouvé), Lenoir est attaqué, puis sauvé, puis c’est fini. Tueur arrêté mais suite à venir avec un background historique déballé en infodump, alors même que le supérieur de Lenoir s’avère être plus qu’un simple Humain, et qu’une proposition lui est faite d’intégrer le cercle intérieur. Ce roman ressemble à une première moitié à qui manquerait sa seconde. Aussi faudrait-il le vendre à moitié prix.

Éric JENTILE

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