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Les critiques de Bifrost

Oiseau

Oiseau

Sigbjørn SKADEN
AGULLO
144pp - 12,90 €

Bifrost n° 106

Critique parue en avril 2022 dans Bifrost n° 106

Troisième titre paru dans la collection « Agullo court », Oiseau est un ouvrage qui, comme son prédécesseur Mars de Asja Baki?, relève d’une science-fiction subliminale. Une atmosphère plus qu’un véritable traitement, servant ici de prétexte à un récit contemplatif lorgnant du côté de l’épure. À vrai dire, on est plus prêt de l’ambiance cotonneuse et oppressante d’un Amatka (in Bifrost n° 91) que du vertige éprouvé à la lecture de Greg Egan. L’argument de départ reprend l’un des lieux communs de la SF : le récit de colonisation. Sur Home, la vie est rude. Soumis aux caprices d’un vent malin agissant sur les révolutions de la planète au point d’en modifier la durée, un souffle du temps que n’aurait pas désavoué Robert Holdstock, exposés à un rayonnement solaire assourdissant, les colons de l’expédition UR endurent une routine monotone dont dépend leur survie. Ils ne connaissent du monde que la poussière de la vallée qui les a vus arriver, et les crêtes des collines érodées surplombant la paroi protectrice du dôme de leur habitat. À bien des égards, leur implantation sur Home a toutes les apparences d’une greffe, mais une greffe fragile, tributaire d’un milieu hostile où les ressources sont chiches. Quelques maisons au style fonctionnel et des champs amendés avec leur propre terreau composent l’ordinaire d’un univers réduit à un microcosme étouffant. Sous le ciel bavard de la planète, leurs paroles ne portent pas. Ils écrivent donc pour communiquer, sur des écrans rudimentaires, incapables d’exprimer les non-dits de leur esprit torturé. Sans Histoire depuis l’effacement de ses archives numériques, la communauté semble également dépourvue d’avenir autre que celui de recommencer sans cesse les mêmes gestes dans une précarité permanente. Jusqu’au jour où atterrissent sur place de nouveaux colons.

Ne nous voilons pas la face, Oiseau a l’aridité de son cadre désertique, rejouant un scénario déjà vu sur un mode intime et contemplatif. Écartelé entre deux époques, elles-mêmes entrecoupées par les extraits d’un journal de bord, l’auteur Sigbjørn Skåden déroule un récit fondé sur l’incompréhension, la méfiance et l’instinct de survie. La narration oscille ainsi entre un quotidien prosaïque, ordonné autour de tâches répétitives, et la contemplation des paysages désolés de Home. La planète écrase les êtres humains de toute son indifférence minérale, réduisant leur empreinte à peu de choses, sous le murmure implacable des rayons de son soleil. De ce camaïeu de couleurs primaires faisant écho à l’état d’esprit des colons, émerge une histoire d’amour qui se transforme en haine, nécessité de la survie oblige. Et de ce combat permanent contre l’agression sonore ressort un univers étrange dont on apprivoise petit à petit les contours, au fil d’une narration ou prévalent les temps morts.

D’aucuns trouveront les choix narratifs de Sigbjørn Skåden trop alambiqués, s’agaçant de l’ennui distillé par Oiseau. D’autres déploreront le dénouement abrupt, ouvert sur un avenir cruel et incertain. Dans tous les cas, nul doute que l’expérience soit clivante. Après tout, c’est la prérogative des artistes que de provoquer.

Laurent LELEU

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