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Les critiques de Bifrost

Notre monde mort

Notre monde mort

Liliana COLANZI
BUCHET-CHASTEL
13,00 €

Bifrost n° 93

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

Notre monde mort réunit huit nouvelles de l’écrivaine bolivienne Liliana Colanzi. Il s’agit là de la première traduction française d’une œuvre de cette auteure par ailleurs journaliste et enseignante à la Cornell University. Mis à part celui donnant son titre au recueil et relevant de la science-fiction – il y est question de la colonisation de Mars –, tous ces récits s’inscrivent avec succès à la croisée des genres fantastique et horrifiques. « L’Œil » évoque l’inquiétante métamorphose d’une étudiante dépressive. « Alfredito » décrit les effets non moins troublants de la mort d’un garçonnet sur ses camarades. Les conséquences étranges et funestes du décès brutal d’un enfant constituent encore le ressort de «  Météorite ». La mort sera aussi le lot du jeune protagoniste de « Chaco », un adolescent fugueur à la psyché visionnaire. « La Vague », quant à lui, campe en quelques pages un univers miné par une apocalypse occulte. Le monde apparaît aussi au bord de l’effondrement dans « Cannibales » (convoquant la figure du serial killer) et dans « Conte avec oiseau », une histoire de folie médicale… Si ces nouvelles déclinent des motifs narratifs d’une sombre bigarrure, toutes ont en commun un regard rien moins qu’amène sur notre réel. Lorgnant du côté de la littérature criminelle la plus noire, les histoires de Liliana Colanzi dressent un panorama des formes les plus odieuses de la domination. Celle qu’infligent les adultes aux esprits et aux corps des plus jeunes placés sous leur coupe. Ou bien encore l’exploitation économique, empreinte de racisme, qu’imposent les Boliviens de souche européenne aux derniers représentants des peuples amérindiens. Certainement victimes de ces mille et une violences, les héros et héroïnes de Notre monde mort ne sont cependant pas totalement impuissantes. Étrangement fécondés par l’antique et chamanique savoir des temps précolombiens, leurs esprits développent une surprenante résistance. Celle-ci prend la forme d’un « don » (terme récurrent sous la plume de l’écrivaine) leur permettant d’accéder à une manière d’au-delà, afin d’y invoquer de redoutables puissances. Parfois simplement suggérés, parfois spectaculairement évoqués, ces « Grands Anciens » latino-américains constituent de paradoxaux sauveurs. Ils nimbent ainsi d’un espoir inattendu le Monde mort que dessine Liliana Colanzi par son écriture à la poétique précision.

Pierre CHARREL

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