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Les critiques de Bifrost

Nos futurs

Nos futurs

Anne BARRE, Pierre BORDAGE, Estelle FAYE, Chloé CHEVALIER, Claude ECKEN, Raphaël GRANIER DE CASSAGNAC, Audrey BERRY, Sylvie LAINÉ, Jeanne-A DEBATS, Jean-Marc LIGNY, Laurent GENEFORT, Philippe BIHOUIX, Vincent VIGUIÉ, François MOUTOU, Véronique MOREI
ACTUSF
400pp - 19,90 €

Bifrost n° 100

Critique parue en octobre 2020 dans Bifrost n° 100

Depuis quelques années, la SF est devenue un potentiel réservoir d’idées pour améliorer l’avenir. De manière très officielle, s’entend, puisqu’il existe même des notes d’analyses stratégiques gouvernementales étudiant ses capacités à aider la Nation. Bien entendu, les écrivains du domaine n’ont pas attendu cette prise de conscience institutionnelle pour s’emparer des difficultés environnantes et les décrire, voire les dénoncer – qu’on pense par exemple à J.G. Ballard. Sauf qu’avec la prise de conscience obligée d’une plus grande part de la population, les textes publiés bénéficient d’une résonance accrue. D’où l’anthologie Nos futurs, où des écrivains, en binôme avec un ou plusieurs scientifiques et journalistes, traitent diverses questions environnementales capitales en ce début de xxie siècle menacé par le changement climatique – histoire de sensibiliser davantage encore le lectorat. Chaque équipe a choisi un « objectif de développement durable » (ODD) et un levier sur lequel faire poids afin d’améliorer la situation. On commence par les scientifiques, qui, dans des articles documentés, exposent les problèmes et proposent des solutions. La plupart ont des propos clairs et précis, certains tendant davantage vers le tract, mais tous parlent avec conviction.

Puis, c’est au tour des nouvelles, illustrant les thèmes choisis. Autant le dire d’emblée, toi qui cherches un rayon de lumière et d’espoir, passe ton chemin, tant ces textes présentent un avenir au mieux contraignant, au pire désespéré. Car le but est bien de dénoncer, de faire réagir. D’où un ton souvent alarmiste, d’où une Terre souvent ravagée, d’où des populations souvent décimées. La nature en tant que telle est au centre de cinq nouvelles. L’agriculture pour Raphaël Granier de Cassagnac, dont il vaut mieux avoir lu Thinking Eternity pour saisir la toile de fond de l’histoire, et Claude Ecken, dans un récit riche en détails, un peu trop peut-être, mais touchant et presque positif. Les forêts et les océans servent de levier pour la nouvelle de Sylvie Lainé, qui propose une belle histoire, émouvante, capable en quelques pages de décrire sans artificialité la situation imaginée et exposant des pistes sur l’évolution de notre regard sur l’égalité des sexes. Estelle Faye use du même levier dans un récit assez désespéré, parfois grandiloquent, mais touchant. Enfin, Pierre Bordage fait de même en clôture d’ouvrage : une réserve forestière est le théâtre du passage de l’adolescence à l’âge adulte d’un jeune couple. Attendrissant et plein d’humanité, comme souvent chez cet auteur.

Puis la technologie et ses pseudo-merveilles prennent le relais pour les cinq autres ODD. Pour Laurent Genefort et Chloé Chevalier, le contrôle passe par une I.A. capable d’enregistrer nos actions et de les comptabiliser. Usage des ressources, tri, déplacement, logement : tout est contrôlé et catalogué. Les libertés individuelles disparaissent au profit du bien collectif et du maintien d’une société proche de celle que nous connaissons. Catherine Dufour, Jeanne A-Debats (dans la plus longue nouvelle du recueil – trop longue, d’ailleurs) et Jean-Marc Ligny pensent qu’il est trop tard. Notre mode de vie est condamné et les enfants de nos enfants vivront dans un monde proche des univers post-apocalyptiques bien connus des amateurs du genre : ville submergée en partie, groupes humains répartis dans des grottes ou errant à travers des pays emplis de zones polluées. Des récits efficaces pour un bien triste panorama.

Nos futurs aurait pu s’appeler no future, car si les scientifiques tentent, en partant des données actuelles, de trouver des portes de sortie acceptables, les auteur(e)s vont directement dans le dur et nous offrent des visions pour le moins angoissantes de ce qui nous attend – c’est là la principale limite du présent exercice. Nous reste à espérer que l’humanité réagira assez vite pour nous épargner ça.

Raphaël GAUDIN

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