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Les critiques de Bifrost

N° 44, le mystérieux étranger

N° 44, le mystérieux étranger

Mark TWAIN
TRISTRAM
280pp - 9,95 €

Bifrost n° 78

Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78

On s’en souvient, les éditions Tristram s’étaient fait remarquer en publiant l’intégrale des nouvelles de J.G. Ballard dans une superbe traduction. Aujourd’hui, elles nous offrent en format de poche (cet ouvrage était paru en grand format en 2011) un des trois manuscrits inachevés de Mark Twain, N°44 le mystérieux étranger. Commencé vers 1899, ce roman, sans cesse remanié, était encore sur la table de travail de l’auteur à sa mort en 1910. Un récit foisonnant, qui nous plonge dans l’Autriche de la fin du xve siècle, la Renaissance en Europe. Mais dans ce pays, « c’était encore le Moyen Age ». Un Moyen Age fantasmé proche de l’obscurantisme, avec ses hommes d’église tout-puissants imposant leur volonté à des ouailles consentantes et convaincues de croiser le Diable au moindre carrefour.

August, jeune apprenti de seize ans, vit dans un château à moitié en ruines avec la famille d’un maître imprimeur et ses ouvriers. Le climat est tendu, tant les rapports de force prévalent, chacun se battant pour maintenir ses privilèges. Mais la vie suit son cours. Jusqu’à l’arrivée d’un étrange individu répondant au doux nom de « Numéro 44, Nouvelle Série 864 962 » ! Imaginez l’effet produit sur ces esprits tout imprégnés de croyances soufrées. Sans la bonté d’âme du maître de maison, ce jeune homme aurait fini entre les mains du Père Adolf, grand pourfendeur autoproclamé du Malin. Or, peu à peu, des événements mystérieux se produisent, qu’on met tout d’abord sur le compte des pouvoirs d’un magicien local. Mais les phénomènes surnaturels prennent des proportions formidables. Quarante-quatre, tout d’abord, se montre capable de soulever des caisses au poids impressionnant. Mais ce sont aussi les presses à imprimer qui fonctionnent toutes seules, alors que les ouvriers se sont mis en grève. Et ce n’est que le début…

Récit classique de premier abord, avec description précise et imagée du lieu où se situe l’action émaillée du portrait des différents personnages,  N°44  le mystérieux  étranger quitte rapidement les chemins traditionnels pour basculer dans une fantaisie tantôt maîtrisée, tantôt débridée. Ce Quarante-quatre, dont on ignore tout au début du livre, va prendre une importance considérable et bouleverser aussi bien la vie des habitants du château que le cours du texte. Mark Twain applique à ce roman fantastique les techniques du récit d’aventures : les péripéties, souvent surprenantes tant l’auteur ose aller loin (on comprend là sa réticence à le publier trop tôt), encadrent des passages plus réflexifs. Sur l’être humain et ce qui le constitue, avec l’apparition de doubles issus de nos rêves. Sur la société et ses travers, la soumission à l’autorité, religieuse ou autre. Réflexions, enfin, sur le monde, sa naissance et sa mort. L’auteur aspirait à exprimer son point de vue sur l’Homme, sans se soucier d’aucun groupe, d’aucun préjugé, d’aucune opinion. Et force est d’avouer qu’il y parvient de manière brillante et explosive dans ce qu’il qualifiait lui-même de conte, un conte étonnamment moderne par moments. De fait, N°44 le mystérieux étranger se révèle une lecture réjouissante dont il serait dommage de se priver.

Raphaël GAUDIN

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