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Les critiques de Bifrost

Les Chats sont éternels

Les Chats sont éternels

Timothée REY, Fritz LEIBER
MNÉMOS
496pp - 35,00 €

Bifrost n° 102

Critique parue en avril 2021 dans Bifrost n° 102

Après la réédition, attendue depuis de longues années, de La Guerre uchronique en 2020, Mnémos continue d’exhumer l’œuvre de Fritz Leiber, cette fois avec un recueil thématique : Les Chats sont éternels. Les textes de l’auteur traitant des félins sont ici repris, à l’exception notable du Vagabond. Même si ce roman dépasse de loin le simple statut de livre mettant en scène un chat (en l’occurrence, plutôt une extraterrestre d›’allure très féline, Tigrishka, sans doute le personnage-chat le plus célèbre de Leiber), son absence est regrettable, quand bien même il aurait fait gonfler la pagination du présent opus (tout en justifiant, pour le coup, un prix proprement prohibitif ?).

Les Chats sont éternels comprend ainsi un roman, Le Millénaire vert, indisponible depuis sa seule édition chez Opta « Galaxie-Bis » il y a 40 ans, et onze nouvelles, dont celles du cycle de Gummitch, six d’entre elles étant inédites. Toutes les traductions reprises ont été revues par Timothée Rey, qui a aussi signé celles des textes inédits, ainsi qu’une introduction très ailurophile et un nombre de notes hallucinant : certains textes courent ainsi sur moins de pages que les notes qui les accompagnent ! Encore une fois, après La Guerre uchronique, un gros travail éditorial effectué par Rey qu’il convient de signaler.

Le Millénaire vert, s’il n’est pas le roman le plus célèbre de Leiber, ni le plus réussi, gagne néanmoins à être connu. Dans une Amérique du futur où les rues de la ville comportent, entre autres évolutions, trois niveaux superposés, Phil Gish, qui vit tant bien que mal de petits boulots, habitué au rôle de loser, voit apparaître à la fenêtre de son misérable appartement un chat vert qui rayonne littéralement d’un bonheur communicatif. Phil, transformé, sort (re)voir le monde extérieur avant que le chat, qu’il a baptisé Lucky, ne disparaisse dans un club un peu glauque. Phil, brutalement, retombe dans sa déprime permanente, mais décide de retrouver Lucky. C’est le point de départ d’une succession d’aventures rocambolesques menées tambour battant, avec courses-poursuites, enlèvements, confrontations armées, où l’on croise milieux interlopes, mafia, adeptes de perceptions extra-sensorielles, magie vaudou et extraterrestres… Un bien curieux mélange que Leiber – qui, au passage, se dépeint partiellement dans le personnage de Phil Gish – réussit à faire fonctionner avec une certaine jubilation et un vrai sens de la comédie et du rythme. Mineur, mais inventif et revigorant.

Gummitch est un chat. Mais un chat super intelligent, qui raisonne mieux que nombre d’humains. Du reste, lorsqu’il était chaton, il était persuadé qu’à l’âge adulte il deviendrait un homme. Il vit avec Vieille-Viande-de-Cheval et Minou-Viens-Là, un couple d’humains, et divers autres chats ; ses cinq aventures empruntent tour à tour aux différents genres, qu’il s’agisse de SF, de fantastique ou de policier, tout en procurant un décalage inédit, drolatique et souvent irrévérencieux, par le prisme de la vision féline. Écrits ponctuellement sur plusieurs décennies, ces textes sont également l’occasion pour Leiber de se dépeindre avec un certain détachement, car le couple d’humains, c’est lui et sa femme Jonquil (qui lui inspirera également certains textes, parmi les plus poignants du «  Cycle des Épées »).

Au sein des nouvelles restantes, on ciblera spécialement « Le Navire des ombres », splendide mélange de science-fiction — l’intégralité de l’histoire se déroule dans un vaisseau spatial dont certains passagers ont perdu l’objectif –, de fantastique et de belles tranches d’humanité, notamment via le protagoniste principal, Spar. Ce dernier, édenté, ne voit quasiment plus rien, ce qui confère sa saveur particulière au texte (prix Hugo 1970), puisque tout y est décrit par vagues sensations visuelles qui nimbent l’environnement, normalement on ne peut plus rationnel d’un vaisseau spatial, d’une approximation et d’une fantasmagorie stupéfiantes.

Au final, cet épais volume est une pierre supplémentaire dans la réédition des opus de Fritz Leiber entreprise par Mnémos depuis quelques années, initiative dont on ne peut que se féliciter. À quand la suite ? L’œuvre ne manque pas de pépites à exploiter…

Stéphanie CHAPTAL

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