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Les critiques de Bifrost

Les Chasseurs de Sève

Les Chasseurs de Sève

Laurent GENEFORT
CRITIC
18,00 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Laurent Genefort aime les livres univers et Les Chasseurs de sève, en dépit de sa brièveté, en est un.

L’Arche est immense au point qu’elle se fait monde : plusieurs générations après l’installation de l’être humain sur ses branches, ne subsistent plus de l’Univers extérieur que des souvenirs si imprégnés d’interprétations morales et même religieuses qu’ils ne sont plus que des mythes. Lorsque la perspective humaine se rétrécit et que l’oubli embrume le récit des origines, la spiritualité se fait restrictive et peut conduire au fanatisme : chaque tribu de l’Arche est un « famil » qui peut tolérer l’existence d’autres communautés… sans se défaire pour autant d’un très fort esprit de clocher. La survie des clans de l’Arche dépend de son exploitation du végétal géant, pourvoyeur de biomasse primaire — la sève — comme secondaire — celle des innombrables plantes épiphytes ou parasites et des animaux qui prospèrent sur le tronc. Le biologiste ne peut qu’être fasciné par l’argument de ce texte : tout système vivant est ouvert sur son environnement et entretient par conséquent des flux de matière et d’énergie avec celui-ci ; leur interruption sanctionne la fermeture du système et donc sa mort ; et l’Arche n’est de toute évidence pas immortelle.

Pour Piérig et les autres habitants de l’Arche, le danger ne provient pas des tribus rivales ou même des autres humanités dont la présence est signalée sur la canopée : pareil danger serait de nature sociologique ; et s’il y a danger sociologique dans cette histoire, ce qui intéresse Laurent Genefort c’est plutôt de montrer comment le péril écosystémique peut le déterminer. L’Arche se meurt, et avec elle vont mourir à la fois un mode de vie et des spiritualités ignorant l’infini de l’horizon. En ce sens, le voyage de Piérig est à la fois picaresque et wulien : il s’agit pour l’individu de changer de perspective par le contact d’un monde étrange, qu’il découvre bien plus grand que sa propre expérience de vie. Les périls rencontrés sur la route — qu’ils soient ceux d’un écosystème en cours d’effondrement, ceux des cultures étrangères ou même ceux de la verticalité — sont autant d’épreuves destinées à modeler un homme nouveau. Certains voyageurs n’y survivront pas, d’autres se révéleront incapables de survivre à la péremption de leurs modes de pensée : l’expérience nouvelle devra de toute façon faire tache d’huile. Le changement écosystémique annoncé par les péripéties de la quête aura donc des contrecoups sociologiques et spirituels remarquables : quand le monde change, l’homme change aussi — et le monde change alors en retour…

C’est donc un texte aussi passionnant qu’humaniste que Laurent Genefort livre ici dans une version révisée, qui mérite bel et bien d’entrer dans votre bibliothèque.

Arnaud BRUNET

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