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Les critiques de Bifrost

Le Songe Ou l'Astronomie Lunaire

Le Songe Ou l'Astronomie Lunaire

Johannes KEPLER
MARGUERITE WAKNINE
50pp - 8,00 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Aussi important que méconnu, Le Songe ou Astronomie Lunaire est l’œuvre de Johann Kepler, une figure plus célèbre pour sa place dans l’histoire des sciences que dans celle de la fiction. Né en 1571, contemporain de Tycho Brahe — dont il fut l’assistant — et de Galilée, Kepler révolutionna avec eux l’astronomie, notamment avec les trois Lois portant son nom. Publiées entre 1609 et 1618, elles démontrent, entre autres, le caractère elliptique de l’orbite des planètes autour du soleil. S’imposant comme un des inventeurs de la modernité scientifique, Kepler peut aussi être considéré comme un des fondateurs de la science-fiction. Peut-être même le créateur du genre ? C’est en tous cas l’avis de l’universitaire Michèle Ducos. Dans sa riche introduction au Songe, elle le qualifie en effet de « premier récit de science-fiction au sens propre du terme ». Car l’ouvrage se démarque des précédentes fictions séléniennes par sa combinaison inédite d’éléments fictifs et documentaires.

Pareil mélange caractérise d’emblée Le Songe. S’incluant lui-même dans son récit, Kepler l’ouvre de la sorte : « une nuit, après avoir contemplé les étoiles et la Lune, je me mis au lit et m’endormis profondément. Dans mon sommeil, je crus lire un livre apporté de la foire ; en voici le contenu. » Cette lecture onirique fait connaître à Kepler l’existence de Duracotus et de ses extraordinaires découvertes. L’Islandais Duracotus est le fils de Fiolxhilde, une magicienne. Au terme d’une enfance sorcière, il quitte son île. Sa route l’emmène au Danemark, où il croise celle de Tycho Brahe. Devenu son disciple, Duracotus s’initie à « la plus divine des sciences », l’astronomie. Regagnant ensuite sa « patrie semi-barbare », il y retrouve sa mère. Elle le met en contact avec un esprit, un « démon » qui lui décrit un monde extraterrestre du nom de Levania. Il s’agit en fait de la Lune, dont il décrit non seulement les contours, mais aussi les créatures la peuplant. Celles-ci se répartissant entre Subvolva, le versant de la Lune visible depuis la Terre, et Privolva, sa face cachée…

Rien moins que fantastique, ce récit du démon est en réalité scientifique. Composant ainsi l’astronomie lunaire promise par le titre, il synthétise l’ensemble des connaissances à la disposition de Kepler. Selon l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet — qui a consacré à Kepler deux romans —, sa « description des mouvements de la Terre dans le ciel est fondée sur l’hypothèse héliocentrique de Copernic ». Et c’est encore « en fonction de données astronomiques que Kepler détermine une “géographie lunaire” » (Michèle Ducos), impliquant notamment l’existence d’un équateur divisant l’astre en hémisphères. Un même esprit scientifique règne quant aux éléments les plus (apparemment) extravagants de cette astronomie lunaire. Ainsi, les Sélénites mis en scène par Le Songe « sont fondés sur des analogies à base d’hypothèses » (Jean-Pierre Luminet). Des conjectures que Kepler prend le soin d’expliciter par 223 notes émaillant son texte, ainsi qu’un « Appendice géographique ou, si l’on préfère, Sélénographique ». Plus longues que Le Songe lui-même, ces denses annexes en révèlent — y compris sous forme de schéma — tout le soubassement théorique.

Entamant Le Songe en 1609, Kepler y travaillera jusqu’à sa mort en 1630. Publié en 1634, l’ouvrage irriguera la littérature lunaire à venir, notamment chez Jules Verne et H.G. Wells. Une postérité qui atteste de l’importance de ce Songe, à plus d’un titre fondateur.

Pierre CHARREL

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