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Les critiques de Bifrost

Le Preneur d'âmes

Le Preneur d'âmes

Frank HERBERT
POCKET
288pp - 7,70 €

Bifrost n° 63

Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63

« Je veux que ton monde comprenne quelque chose : qu’un innocent de ton peuple peut mourir exactement comme d’autres innocents sont morts. »

Charles Hobuhet, brillant étudiant indien, travaille au camp de vacances où vient d’arriver David Marshall, rendu aussitôt célèbre par la nomination de son père au gouvernement. La nuit suivante, Hobuhet, qui a abandonné son nom pour prendre celui de Katsuk, persuade le garçon de le suivre pour une cérémonie d’initiation. Ce n’est que le début d’un long et dangereux voyage. Inspiré par les esprits qui lui parlent sans cesse, Katsuk compte sacrifier David. Derrière eux, la traque s’organise…

Initialement publié dans une collection de fantastique (« Les fenêtres de la nuit », chez Seghers), puis réédité en poche sous l’étiquette SF, ce livre n’est bien entendu ni l’un ni l’autre. On a même du mal à le rattacher au thriller, tant il adhère peu aux conventions de ce mode narratif — à peine si quelques inserts, extraits de témoignages de personnages secondaires, donnent à entendre d’autres voix que celles du kidnappeur et du kidnappé. Non, il s’agit ici de littérature générale, certes centrée sur deux axes spécifiques : le territoire du nord-ouest des Etats-Unis, précisément l’Etat de Washington, et la culture ancestrale des tribus indiennes de la région.

Par contre, ce roman s’inscrit en plein dans les préoccupations habituelles de Frank Herbert. Katsuk se veut un redresseur de torts (les torts infligés par les Blancs à son peuple, aussi bien politiques qu’écologiques, qu’on peut sans guère d’hésitation qualifier avec lui de crimes), ainsi qu’un médiateur entre les mondes spirituel et matériel (pour caricaturer, disons qu’il entend des voix). Sa fonction quasi-messianique l’apparente donc à un Muad’Dib, et c’est aussi une croisade, quoique plus personnelle, qu’il mène.

Le récit s’enrichit de descriptions naturalistes et de digressions philosophiques, moins prégnantes, plus resserrées, plus fluides qu’ailleurs chez cet auteur. Et son style, probablement aidé par le texte français de l’excellent Patrick Berthon, renonce à certains tics. Là où il pêche, c’est sans doute par sa conception même, qui est celle d’une tragédie. Les deux personnages n’évoluent en rien ; ils ne le peuvent pas, d’ailleurs, sous peine de quitter les rails sur lesquels les place Herbert. Katsuk doit rester le vengeur persuadé de son bon droit ; David doit rester l’innocent sacrificiel. Dès le début, l’issue paraît évidente, prédestinée, pour reprendre un terme familier aux fans de Dune et ses suites.

Le problème principal du Preneur d’âmes, outre qu’il ne s’y passe pas grand-chose en termes d’intrigue (souci toutefois moins grave en littérature générale qu’en genre), est là : dans le monolithisme des deux protagonistes qui trustent le devant de la scène. Malgré ce défaut, cette froideur, on peut se laisser gagner par le mysticisme de ce roman et troubler par sa rage. Il est pires ratages.

Pierre-Paul DURASTANTI

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