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Les critiques de Bifrost

Le « Livre du Long Soleil » est considéré comme le deuxième cycle majeur de Gene Wolfe, après le « Livre du Nouveau Soleil ». Les deux font d’ailleurs partie d’une saga plus grande, le « Cycle solaire », qui comprend aussi le roman Le Nouveau Soleil de Teur, la trilogie « The Book of the Short Sun », restée inédite en français, ainsi que neuf nouvelles. Notez qu’il faut prendre les termes de « cycle » ou de « tétralogie » avec des pincettes : d’une part chacun des quatre romans du « Livre du Long Soleil » est la suite directe, parfois à la minute près, du précédent (et ils se déroulent de toute façon tous sur un intervalle temporel très resserré, environ deux semaines), d’autre part les anglo-saxons le considèrent comme un roman unique coupé en quatre volumes. Notez aussi que les liens entre les deux cycles majeurs de Wolfe sont si ténus que le lecteur peut tout à fait lire ce « Livre du Long Soleil » sans jamais se rendre compte qu’il se déroule dans le même univers que « Le Livre du Nouveau Soleil » !

Organsin est Paterdans un Mantéion, c’est-à-dire un hybride de prêtre et d’instituteur dans une structure qui tient autant de l’école que du temple. Les divinités qu’il sert peuvent apparaître dans des « Fenêtres sacrées » et posséder leurs fidèles. Son monde est cylindrique, son soleil rectiligne, et la nuit, on aperçoit, de l’autre côté du ciel, des Terres Célestes. On pourrait presque croire à un univers de fantasy assez inhabituel si sa douzaine de déités ne vivait pas dans un endroit appelé l’Unité Centrale, si les habitants de ce « Méande » (déformation de « Monde ») n’avaient pas le souvenir, transmis de génération en génération, d’être originaires d’un autre endroit où le soleil était rond, et que ledit Méande était une création artificielle du chef des dieux. Ajoutez le fait que dès le début, Wolfe vous montre des robots, des engins volants, et parle à mots couverts de manipulations génétiques pour que même le plus novice des lecteurs de SF comprenne qu’il a en réalité affaire à une histoire de vaisseau à générations. Classique ? Pas tant que ça : ces histoires se posi- tionnent majoritairement selon deux axes (les passagers ont tout oublié / ont été abusés et croient réellement être dans un vrai monde, ou bien, au contraire, les passagers savent très bien dans quoi ils sont embarqués), et l’univers de Wolfe se trouve, de façon très intéressante, à l’intersection des deux. L’effet du temps et des manipulations de l’Équipage (bien distinct du Fret) fait que par exemple, les esprits téléchargés des dirigeants de l’expédition deviennent des dieux, et que leur injection mémétique via des écrans d’ordinateur devient une « possession » divine.

Organsin subit au début du premier tome une épiphanie, étant un instant possédé par l’Autre, cette déité qui ne vit pas dans l’Unité Centrale et correspond au Dieu judéo-chrétien. On notera d’ailleurs que comme le reste de l’œuvre de Wolfe, ce cycle est puissamment influencé par sa foi catholique, un autre personnage majeur, Alque, ayant d’ailleurs plus qu’une vague parenté avec Moïse guidant son peuple vers la Terre Promise. L’Autre donne à Organsin pour mission de sauver son Mantéion, justement racheté par un potentat louche. Ce qui conduira le Pater, de fil en aiguille, à assumer le rôle d’un dirigeant religieux et politique à la fonction indûment suspendue depuis des décennies, et à changer son monde.

Sur le papier, tout cela paraît fort intéressant. Le gros problème est que si, toujours en théorie, Wolfe serait un immense styliste, à la prose érudite et intelligente, en pratique on est très tenté de rebap- tiser l’ouvrage « Le Livre du long sommeil », tant la lecture en est laborieuse et frustrante : longueurs et interminables tunnels de dialogues alternant avec de brusques accéléra- tions et ellipses dans l’intrigue rendant parfois la chose difficilement compréhensible, scènes qu’on attendait avec impatience et qui sont expédiées d’un trait de plume, jeux érudits (le chat Catachrest, par exemple) qui n’amuseront que leur auteur et une poignée de lettrés parmi le lectorat, etc. Certes, la révélation finale remettra certaines choses en perspective et fera bénéficier l’auteur d’une (très) relative indulgence, mais, clairement, ce cycle ne sera certainement pas à même de séduire le grand public !

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