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Les critiques de Bifrost

La Pluie du siècle

La Pluie du siècle

Alastair REYNOLDS
PRESSES DE LA CITÉ
588pp - 23,00 €

Bifrost n° 110

Critique parue en avril 2023 dans Bifrost n° 110

Uchronie ou space opera ? De toute évidence, pour ce premier roman hors-cycle des « Inhi­biteurs », Alastair Reynolds avait envie de parler autant d’un Paris des années 50 qui n’a jamais existé que d’un démentiel et in­compréhensible projet d’ingénierie extra­- ­terrestre : il a donc fait les deux, et engendré un roman hybride auquel on peut coller cha­cune des deux étiquettes sus-citées, voire lui en adjoindre quelques-unes de plus, tout en lui assignant un titre énigmatique.

Force est de constater à la lecture que les deux dimen­sions de La Pluie du siècle se répondent avec une effica­cité certaine. D’un côté le réa­lisme poétique de l’intrigue uchro-parisienne, à l’ambian­ce interlope, où il est question d’une enquête menée par un détective privé américain nommé Floyd ; de l’autre une énigme extraterrestre, sous la forme d’objets massifs reliés par un réseau de trous de ver… à l’intérieur desquels se nichent peut-être des versions alterna­tives de la Terre. D’une part l’illusion d’une vie normale – les habitants de la Terre où vit Floyd n’ont pas conscience d’être encapsulés dans une sphère artificiel­le… et encore moins d’être des copies ayant divergé de leurs originaux morts depuis des siècles –, d’autre part la vie quotidienne que peuvent mener des êtres humains du XXIVe siècle dans un contexte où la vraie Terre est devenue hostile suite à un désastre nanotech­nologique.

Auger, archéologue reconnue pour sa connaissance du Paris pré-cataclysme, va servir de trait d’union entre ces deux pans de l’intrigue : il se trouve qu’au moins une faction humaine a découvert une façon de s’introduire à l’intérieur de la copie altérée où vit Floyd… et qu’une série d’événements préoccupants va nécessiter d’envoyer la scientifique de l’autre côté du trou de ver. Une enquête digne d’un roman « noir » à laquelle répond un conflit interstellaire promettant de redéfinir, une bonne fois pour toutes, le rapport de l’être humain à sa mémoire collective, il fallait y penser mais aussi l’oser : La Pluie du siècle de­vra donc s’entendre comme un excellent témoin de l’ambi­tion littéraire de son auteur. Le reste, ce sont des thèmes et des arguments typiques de chaque genre abordé ici : citation histo­rique (on croisera dans ce Paris alternatif un certain dictateur allemand captif et réduit à la décrépitude)  ; conflictualité entre factions humaines ou post-humaines ; truculence et niveaux de gris des protagonistes de l’en­quête ; enjeux globaux plus vastes que la somme des intérêts individuels. À ce schéma l’auteur n’oublie pas d’ajouter quelques idées originales, en forme de fausses pistes qui ne le sont pas toujours, à commencer par l’existence d’un virus rendant une bonne partie des êtres humains du XXIVe siècle (dont Auger) insensibles à la musique – alors que Floyd est avant tout un musicien de jazz.

Nul ne contestera la sa­veur des ingrédients ras­sem­blés pour construire La Pluie du siècle : comme il nous le signale dans sa post­face, l’auteur a pris soin de se baser sur une documentation aussi pluridisciplinaire que possible – ce qui se sent d’ail­leurs à la lecture — et leur in­tégration est aussi minutieuse que voulu. L’association hybride avait toutefois ses risques in­trinsèques, et La Pluie du siècle ne parvient – ou ne veut – pas échapper à certains d’entre eux. Le premier bien sûr n’est autre que la nécessité d’un temps d’exposition doublé, qu’une astucieuse alternance des points de vue entre Floyd et Auger ne parvient pas tout à fait à limiter : le texte pâtit donc d’un début assez lent. Le second sera lié à la nécessité de faire coopérer l’archéo­logue et le détective pour tirer toute l’affaire au clair : la convergence cosmique entre eux se double peu à peu d’une attirance bizar­roïde sans réelle justification interne, et se conclut de la façon que le lecteur studieux aura devinée compte tenu des concepts sur lesquels repose le livre.

Non létaux, ces défauts ne remettent pas en question l’intérêt de l’œuvre à tous points de vue : La Pluie du siècle est un bon Rey­nolds, et un bon roman de SF.

Arnaud BRUNET

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