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Les critiques de Bifrost

La Montagne morte de la vie

La Montagne morte de la vie

Michel BERNANOS
L'ARBRE VENGEUR
160pp - 17,00 €

Bifrost n° 103

Critique parue en juillet 2021 dans Bifrost n° 103

Ce n’est pas de la SF, pourtant les trois livres qui forment le cycle de «  La Montagne morte de la vie » sont aussi, à leur manière, autant de voyages vers des planètes inconnues. Des mondes verts et rouges, couleurs de la forêt et du sang. Un univers originel où la rationalité n’a pas cours, où la connaissance n’assure aucune certitude, où l’homme est ramené à son insignifiance fondamentale devant l’énigme et la brutalité de l’existence.

« Tuer, mourir ! Voilà toute la vie ! » fait dire Michel Bernanos à l’un de ses personnages. Comme si tuer, c’était vivre, et tel est l’ordre des choses pour toutes les créatures de cet univers. De scènes programmatiques, les romans n’en manquent pas : cannibalisme, sacrifices rituels, meurtres, duels contre une faune exubérante et prédatrice. On peut y voir une parabole sur la valeur de la vie qui se nourrit d’elle-même pour se perpétuer.

C’est cette image qui est au centre du cycle et lui confère sa puissance, et non l’intrigue, par définition interchangeable. De fait, les trames des romans, volontairement simples, se résument à chaque fois en quelques mots  : une expédition, une traque, une traversée en mer suivie d’une robinsonnade.

Dans Le Murmure des dieux, chronologiquement le plus ancien (1960), un ingénieur français et un docteur en philosophie partent explorer l’Amazonie en pirogue, à la recherche d’un trésor archéologique celé par les Indiens et qui est peut-être l’ultime vestige de la mythique cité d’El Dorado. La forêt intéresse les occidentaux pour d’autres raisons : l’industrie a un grand besoin d’arbres. La faute originelle de l’homme blanc, c’est le meurtre d’un arbre sacré, sans témoin sinon les puissances invisibles de la forêt. Le voyage est également une introspection : les voyageurs comme les indigènes, à travers des rites fantastiques où passé et présent irréel se conjuguent, mesurent la distance qui les sépare. Chacun aussi s’enfonce dans sa jungle personnelle, à la recherche d’une vérité qui lui échappe.

Achevé avant la mort de l’auteur mais publié à titre posthume, L’Envers de l’éperon se présente comme une sorte de western tragique. Deux frères, fâchés pour une affaire puérile d’orgueil blessé, sont appelés à régler leur différend dans le sang. Leur face-à-face est sans cesse différé par les maléfices d’un décor tropical sauvage où tout est démesuré, qui transforme la course-poursuite en parcours initiatique. À la fin néanmoins, l’un des deux devra tuer l’autre ; à moins que la victoire définitive ne revienne à la nature, véritable personnage en soi…

Posthume lui aussi, La Montagne morte de la vie se veut plus ouvertement fantastique. Embarqué de force sur un galion, le narrateur raconte les vicissitudes de sa vie de mousse en butte à un équipage violent et cruel, à l’exception d’un vieux cuisinier qui lui sert de père de substitution. Après une succession d’événements terribles, le bateau est fracassé par un maelstrom. Le mousse et le cuisinier sont les seuls rescapés. Ils échouent sur une mystérieuse île rouge, dominée par un soleil de la même couleur, qui semble inhabitée. À l’aventure maritime et à la plongée dans le maelstrom succède une ascension vers l’étrange. L’île est en effet dominée par une montagne qui les attire irrésistiblement. Un univers aussi fabuleux qu’inquiétant émerge de cette roche magnétique, fait de plantes carnivores, d’arbres mobiles, de villages fantômes et de silhouettes pétrifiées. La novella émerveille par sa capacité à susciter tour à tour l’admiration et l’inquiétude, par la diversité de ses registres.

L’ombre de Jules Verne plane sur ce cycle qui évoque des mondes inconnus ou irrémédiablement disparus, décrits dans une langue superbe. Les trois livres fonctionnent comme de parfaits récits d’aventures, des sortes de bandes dessinées entre Indiana Jones et L’Oreille cassée, parcourues de personnages hauts en couleurs et de rebondissements incessants. S’il ne saute pas toujours aux yeux, l’aspect fantastique se révèle progressivement. Plus que la succession d’épreuves herculéennes imposées aux héros, c’est la présence constante de la nature, incarnée dans les aberrations du règne animal, végétal et minéral, magnifiée par la plume de l’auteur, qui confère au cycle une dimension surnaturelle originale.

Un auteur à découvrir ou à redécouvrir.

Sam LERMITE

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