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Les critiques de Bifrost

La Fleur de Dieu

La Fleur de Dieu

Jean-Michel RÉ
ALBIN MICHEL
336pp - 19,90 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Voici un premier roman. Un livre comme sous influence, celle du Dune de Frank Herbert, dont il se rapproche par maints aspects, tout en s’avérant, in fine, en totale opposition avec le propos de l’inspiration souche. Une espèce d’anti-Dune, en définitive.

La fleur divine en titre a une puissante odeur d’épice, quoique ne fleurant pas la cannelle ; le seigneur de la guerre De Latroce rappelle le baron Vladimir Harkonnen ; l’époque, ici 10996, contre 10191 pour Dune ; le volumineux glossaire (45 pages !) gorgé de noms pseudo-scientifiques, de plantes imaginaires qui n’alourdissent que le texte ; chaque chapitre, bien entendu, orné d’épigraphes. Cependant, les divergences sont plus fondamentales. À commencer par l’enfant du récit, qui n’est pas un messie, contrairement à Paul Muad’Dib, « juste » prescient ; il est un dieu, affranchi des contingences de la physique, et les scènes où il intervient évoquent pour moi des combats de super héros « en costume » — ou Johnny Weissmuller se balançant de liane en liane, au premier chapitre. Quand tout devient possible, ce qui est l’apanage du divin, on frôle bien vite le n’importe quoi.

Les approches intellectuelles de Herbert et de Ré sont d’autre part radicalement différentes, pour ne pas dire opposées. L’Américain montrait la constitution et le fonctionnement de la religion comme outil de pouvoir, mettant en lumière les mécanismes agissant. Le Français, lui, n’oppose que les institutions cléricales à une dimension mystique et métaphysique de la foi. Où Herbert laisse à son lecteur le soin de réfléchir sur le processus religieux qu’il a démystifié, en réduisant le mystère (de la foi) à un modus operandi, faisant de Dune un authentique roman spéculatif, Ré donne un avis tranché sur la question. Il distribue bons et mauvais points, non aux protagonistes, mais aux « objets » intellectuels en lice. En affirmant de façon péremptoire que la foi a du bon mais que les églises sont des institutions totalitaires qui l’exploitent et la pervertissent, il shunte de fait la possible réflexion du lecteur.

Les personnages sont moins nombreux que la dramatis personnae ne le laisse entendre. L’Empereur ; le seigneur de Latroce ; le groupe de négociateurs de chacune des religions qui sont la continuité explicite de celles existant aujourd’hui augmenté de l’Ordo (une religion scientiste), dont l’état-major en réunion constitue un personnage en soi et fait figure de « méchant » ; l’enfant et la Fawdha Anarchia, qui figurent les « bons ». Autant de têtes parlantes permettant des dialogues par lesquels informer le lecteur.

Il n’y a que peu d’action : le vol de la formule de la fleur de dieu par la Fawdha Anarchia, le déclenchement de l’insurrection par le seigneur de Latroce, qui complote contre l’empereur et l’Ordo ; l’apparition mouvementée de l’enfant.

La Fleur de Dieu exige de suspendre son incrédulité, d’accepter sa dimension mystique et métaphysique.

En dépit de quoi subsiste néanmoins nombre d’irritants. « […] arracher le fruit d’un arbre, piétiner une herbe fraîche, charger un animal et tuer un homme, tout cela constitue une violation des droits de la vie » (p. 163), tel est le credo sur lequel se sont accordées les diverses religions de l’empire, faisant fi de ce que les animaux mangent d’autres êtres vivants, animaux ou végétaux ; Dieu (si l’on y croit) l’ayant ainsi voulu. Ce credo divinisant le vivant est ici si loin poussé qu’il sombre dans un ridicule achevé. Le lecteur peine par ailleurs à se représenter cet empire galactique trop vaste pour être gérable par la répression, mais où Latroce ne met qu’une poignée de secondes pour rallier la Terre à son fief… Et moult autres détails qui laissent à penser que l’auteur ne s’est pas vraiment préoccupé de cela… Le pire étant cette réflexion : « Comme si une fois chaque chose pourvue d’un nom l’univers s’en trouvait mieux ordonné, plus compréhensible. Foutaises ! » p. 235. Foutaises. Ce qui n’est pas nommé échappe à toute possibilité de compréhension qui est la raison même d’exister du langage. Bref…

Bien que perclus de mille et un défauts, chargé d’irritants comme une mule, et somme toute décevant, La Fleur de Dieu reste lisible, pas désagréable, même, pour peu qu’on fasse fi de ses défauts. Quant à l’histoire ? Une parousie, disons. Sur fond d’empire galactique riche de milliers de mondes. Et une intrigue suspendue en plein vol qui appelle une suite. Pour qui veut… Ou pas.

Jean-Pierre LION

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