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Les critiques de Bifrost

La Digitale

La Digitale

Alfred BOUDRY
ACTUSF
184pp - 9,10 €

Bifrost n° 60

Critique parue en octobre 2010 dans Bifrost n° 60

Alix S. Grey (S. pour Sexy) est détective privée. Comme tous ses modèles classiques, elle a besoin d’argent. Comme ses prédécesseurs, elle manie l’humour brut avec aisance. Comme eux, elle se retrouve dans des situations rocambolesques.

Un matin, un client arrive dans son bureau, s’assied… et meurt devant elle. Sans raison apparente. Sans avoir pu dire quoi que ce soit de révélateur. Quelques maigres indices lui permettent de se diriger vers le monde du parfum et de ses créateurs. C’est le début d’une enquête au rythme haletant.

Le point de départ de l’écriture de ce roman est, selon Alfred Boudry, un concert de Dead Can Dance et une odeur. La relation entre les deux. Les liens entre parfums et sentiments, l’influence des premiers sur les seconds. C’est effectivement l’un des thèmes qui traversent ce récit, très riche en sujets de réflexion pour qui le souhaite. Mais c’est avant tout un roman policier digne de ceux de Dashiell Hammett ou de Léo Malet.

L’auteur s’est amusé en écrivant ce récit et le lecteur lui emboîte le pas avec plaisir. Le ton est léger, malgré la violence de certaines scènes, et on ne peut s’empêcher de penser à Audiard, aux livres et films policiers de cette époque. L’intrigue y était assez simple, les personnages bien troussés, les répliques ciselées. Alfred Boudry a d’ailleurs truffé son roman de citations et de clins d’œil (Ah ! Le « Hou ! Li-Po ! », le « Kwisatz-D.R.H. » !). Il a créé pour l’occasion une famille digne des soap-opéras les plus farfelus (il nous en fournit même l’arbre généalogique !).

Le personnage de l’héroïne rappelle au début « Temple Sacré de l’Aube Radieuse », le héros de Roland C. Wagner dans ses Futurs Mystères de Paris. Les deux semblent inspirés d’illustres ancêtres classiques. Le monde dans lequel ils évoluent a été bouleversé par une grande catastrophe. Mais la comparaison s’arrête là : le rythme et l’atmosphère diffèrent. Roland C. Wagner peut, au cours des nombreux volumes de sa série, développer le personnage à loisir. Alfred Boudry, au regard de la brièveté de son format, doit aller à l’essentiel : une action débridée, passionnante et réjouissante.

Cependant, le monde qui apparaît derrière cette histoire est tout sauf plaisant. La Faille s’est effondrée. De là sont nés sept tsunamis, dont l’un de 150 mètres de hauteur. Les morts se sont comptés par milliards. Les survivants ont dû se réfugier sur le peu de terres encore habitables, dont l’Islande, où les glaciers ont disparu. C’est là que se déroule La Digitale.

Malgré le choc causé par cette catastrophe, les hommes ont fini par recréer un monde. Mais aussi injuste qu’avant. Le constat est d’une banalité tragique : quoiqu’il arrive, l’être humain a toujours tendance à recréer des privilèges, à tenter d’obtenir plus que son voisin, à oublier le bien commun à son profit.

La Digitale est un roman léger en apparence, rapide à lire ; on s’y plonge sans effort et avec délectation. Ce qui ne l’empêche pas de brasser des thèmes profonds et sombres. La chute de ce récit, préparée par l’introduction, en est d’ailleurs un bon exemple. Un exemple qui nous incite à replonger dans l’aventure, à déguster une nouvelle fois ce bonbon amer au parfum enivrant. Une réussite.

Raphaël GAUDIN

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