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Les critiques de Bifrost

L'Institut

L'Institut

Stephen KING
ALBIN MICHEL

Bifrost n° 99

Critique parue en août 2020 dans Bifrost n° 99

Marchant sur les traces de Doctor Sleep ou de L’Outsider, L’Institut s’inscrit dans la lignée des romans nomades de Stephen King, embrassant largement la topographie étasunienne. Le récit s’ouvre à Tampa, dans la méridionale Floride, où l’on retrouve Tim Jamieson, un ex-policier en quête à la fois d’un autre job et d’une nouvelle vie. Il finit par les trouver à DuPray, en Caroline du Sud. C’est un de ces recoins de l’Amérique profonde chers à King, où services et commerces se comptent sur les doigts d’une main. Ils ne doivent leur léthargique existence qu’au nœud ferroviaire auquel DuPray s’accroche, comme un naufragé à une bouée. La bourgade bénéficie ainsi du passage d’immenses convois de marchandises, dont elle grappille les miettes assurant sa survie économique. Mais parfois un de ces trains abrite un passager clandestin…

C’est ainsi qu’arrive un jour à DuPray le jeune Luke Ellis… ou plutôt y atterrit, sous les yeux stupéfaits de Tim. Ce dernier voit en effet le garçon d’une douzaine d’années s’éjecter d’un wagon en marche, avant de le lui porter secours. Tim écoute ensuite Luke – le véritable héros de L’Institut — lui narrer une sombre odyssée débutée quelques semaines auparavant à Minneapolis, tout au nord des États-Unis. Durant une nuit aux allures de cauchemar, le garçon a été enlevé par un énigmatique commando. Sans doute le quotient intellectuel hors-normes de Luke – le « gamin intelligent » était sur le point d’entrer à Cambridge ! – n’est-il pas sans jouer quelque rôle dans son kidnapping. Mais ce n’est qu’une fois Luke parvenu dans «  l’Institut » donnant son titre au roman, que les motivations de l’enlèvement s’éclairent peu à peu. Tapie dans une forêt du Maine – nous voici maintenant sur le littoral atlantique des États-Unis –, la structure tient à la fois de la prison juvénile et du laboratoire scientifique. Luke y découvre d’autres jeunes, voire très jeunes compagnons et compagnes d’infortune venant des quatre coins du pays. Considérés officiellement comme « disparus », ces enfants et adolescents sont soumis à des expériences aussi étranges que douloureuses, les métamorphosant en involontaires acteurs d’une géopolitique occulte…

Mais n’en écrivons pas plus, afin de ne pas divulgâcher un plaisir que l’on promet grand aux futures lectrices et lecteurs de L’Institut. Alliant une imparable efficacité narrative et un art humaniste de la caractérisation de personnages, L’Institut s’avère aussi addictif qu’attachant. Très politique, le roman vient par ailleurs confirmer l’aversion déjà manifestée par King pour l’actuel occupant de la Maison Blanche, qualifié de «  gros con » ! Mais au-delà de cette dimension critique, son intrigue dessine une idéologie complexe. S’y exprime notamment une vision ambiguë du complotisme, raillé dans certaines pages, devenant une forme salvatrice de scepticisme dans d’autres. Quant aux armes à feu, elles apparaissent tantôt comme un fléau, tantôt comme un outil libérateur. Mêlant de manière apparemment contradictoire rationalité et paranoïa, ou entretenant un rapport équivoque à la violence, L’Institut dessine en réalité un horizon politique profondément étasunien. Et qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui des X-Files, une série chère à Stephen King. Un auteur dont ce dernier opus en date rappelle – s’il en était encore besoin – qu’il est l’un des cartographes essentiels de l’Imaginaire américain.

Pierre CHARREL

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