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Les critiques de Bifrost

L'Ensorceleur des choses menues

L'Ensorceleur des choses menues

Régis GODDYN
L'ATALANTE
480pp - 23,90 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Barnabéüs est vieux, et ne souhaite plus qu’une chose après une vie honorable : écrire ses mémoires. Fils aîné d’une mage, élevé dans l’opulence, appelé à reprendre la charge de sa mère, il a été déshérité dans sa jeunesse au profit de son frère cadet. Il s’est alors exilé dans les faubourgs d’une bourgade de taille moyenne, subissant les sautes d’une météo caractérielle tantôt glaçant la ville d’un hiver âpre ou la réchauffant d’un été caniculaire au long d’une même journée. Cependant, Barnabéüs n’est pas à plaindre : après être devenu ensorceleur des choses menues, et, tant bien que mal, avoir réussi à trouver sa place au sein de cette caste qui aide les gens du peuple dans les petits tracas du quotidien, il peut enfin prendre sa retraite. C’est sans compter sur Prune, une jeune fille noble n’ayant plus rien à perdre, et qui lui demande de l’aide pour retrouver son fiancé disparu. Ce dernier n’est pas revenu du mystérieux voyage vers Agraam-Dilith, la cité secrète dans laquelle tous les mages seraient formés. Après un premier refus, le vieillard se retrouve à aider la jeune demoiselle en détresse sur un apparent coup de tête, et le voilà embarqué dans le voyage qu’il faillit faire autrefois. Léger problème : seuls les mages ont le droit de voyager au-delà du petit monde de leur cité casanière…

Voici un récit de fantasy un peu inhabituel, où le héros, un vieillard bedonnant perclus de rhumatismes, découvre, presque malgré, lui les limites d’une société autoritaire et fermement décidée à garder la masse populaire dans l’ignorance. Pas de faux semblant ici, Barnabéüs sait très bien qu’il ne séduira jamais Prune, même si une certaine fierté virile l’oblige à avancer, pas après pas, en suivant tout pantelant et grommelant cette jeunesse flamboyante. Il est parfois drôle, parfois triste, parfois pitoyable, parfois courageux. Au fil du chemin, de découvertes géographiques en échanges de formules, de rencontres en poursuites, il s’interroge beaucoup, ce petit vieux si obstiné : pourquoi sa mère a-t-elle choisi son frère plutôt que lui ? Pourquoi les jeunes femmes doivent-elles se battre davantage pour vivre leur vie selon les normes des hommes ? Pourquoi n’a-t-il aucun mal à apprendre de nouveaux sorts que même son frère mage ignore ? Quel est ce monde sans pitié dans lequel il échoue quand il rêve, nuit après nuit ? Et surtout, que cache vraiment ce parcours initiatique vers la cité secrète ? Aventure après aventure, le duo improbable va découvrir et dévoiler les plus terribles des secrets (dont l’un est d’ailleurs spoilé sur la quatrième de couverture), déclenchant au passage un cataclysme social sans précédent.

Malheureusement, ces révélations attendues sont peut-être un peu trop tardives dans l’histoire au long cours, qui pâtit d’un certain nombre de maladresses et de longueurs facilement évitables. Les véritables enjeux politiques et psychologiques de la quête ne se dévoilent vraiment qu’au dernier quart du roman, même si on les soupçonne dès la première partie, ralentissant un rythme qui peinait déjà à se réguler. Certes, un coup de théâtre central dynamise le récit, mais quel dommage qu’il soit traité en à peine deux minuscules pages, faisant ainsi implicitement comprendre au lecteur que non, finalement, ce n’est pas si grave. Pourtant les personnages principaux sont d’une humanité sympathique, et le regard porté sur ces deux héros atypiques fait souvent preuve d’un humour fin et d’une intelligence subtile. Les questions posées sur l’importance de la mort et le sens de leur vie sont riches et intrigantes, et permettent au lecteur de suivre Barnabéus et Prune jusqu’à la dernière page… à condition de garder un regard bienveillant.

Maëlle ALAN

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