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Les critiques de Bifrost

Juste être un homme

Juste être un homme

Craig DAVIDSON
ALBIN MICHEL
245pp - 20,20 €

Bifrost n° 51

Critique parue en juillet 2008 dans Bifrost n° 51

On a découvert Craig Davidson en France avec Un goût de rouille et d’os, un recueil de nouvelles. Et le choc a été rude. Car certaines de ces nouvelles (et notamment celle qui donnait son titre au recueil) étaient d’une puissance de frappe, d’une force et d’une maîtrise narrative étonnantes. Alors forcément, on espérait beaucoup du premier roman de ce jeune canadien surdoué. Sans doute un peu trop. Juste être un homme est un roman solide, mais pas inoubliable. On attendait nettement mieux de Craig Davidson. Et pourtant, ça démarre plutôt bien : Paul Harris, 26 ans, est issu d’un milieu aisé. Son avenir, tout tracé, est de reprendre l’entreprise viticole de son père. Mais un soir, dans un bar, il est sauvagement agressé. Incapable de se défendre, roué de coups, partiellement défiguré, il prend soudain conscience de sa vulnérabilité, et des limites de l’éducation qu’il a reçue. Pour Paul, c’est une véritable révélation. Il comprend qu’il doit s’endurcir, abandonner ses vêtements confortables de fils de bonne famille, et faire face à la violence du monde qui l’environne. Il se lance alors dans une quête obsessionnelle, un lent apprentissage de la douleur. Pour Rob Tully, c’est tout le contraire. Chez les Tully, la boxe est une tradition familiale, le seul espoir d’échapper à la misère. Rob, 16 ans, est un jeune boxeur très doué. Soutenu et managé par son père et son oncle, deux boxeurs ratés, il n’a pas le choix : il doit devenir un champion, inscrire le nom des Tully au firmament de la boxe, et peu importe ses doutes ou ses interrogations…

L’argument est simple. Et bien sûr, on devine très vite que Paul et Rob sont appelés à se rencontrer, à combattre l’un contre l’autre. Le lecteur apprend aussi, dès les premières pages, où aura lieu cette rencontre : dans La Grange, une ancienne ferme où se déroulent des combats clandestins d’une violence extrême. Du coup, le roman est comme vidé de sa substance, privé de tout enjeu réel, avant même d’avoir su nous captiver. On retrouve dans Juste être un homme des thèmes déjà présents dans Un goût de rouille et d’os : filiation, rédemption, rapport père-fils, culte acharné du corps, apprentissage de la souffrance pour donner un sens à sa vie… D’où une forte impression de déjà lu. Mais ce qui donnait force et intensité à ses nouvelles, se délite dangereusement sur ce format plus long. La conclusion du récit, beaucoup trop prévisible, n’arrange rien à l’affaire. Et on a bien du mal à s’intéresser aux destins croisés de Paul et Rob, puisqu’on a déjà compris où Craig Davidson veut en venir. Quelques longueurs — des scènes entre Paul et son père, d’autres entre Rob et son oncle, alors que le lecteur a compris depuis belle lurette la nature exacte de leurs relations — viennent encore compliquer le problème. Alors, qu’est-ce qui reste ? Il y a bien sûr les qualités d’écriture de Davidson. Et c’est vrai que certains passages sont magnifiques, âpres et tendus. Mais ça ne suffit pas. Le sujet de Juste être un homme aurait pu donner matière à une formidable nouvelle, mais s’avère décidément trop court pour un premier roman. L’influence de Chuck Palahniuk est toujours très présente. L’intrigue de Juste être un homme rappelle d’ailleurs souvent celle de Fight Club : ici aussi, il s’agit de deux hommes qui finalement n’en forment qu’un, et qui vont s’affronter à mains nues dans un lieu clandestin. Mais la comparaison s’arrête là. Bref, on est vraiment déçu, et c’est dommage. Ceci étant dit, on attend quand même la suite avec impatience, en se disant que Juste être un homme est un simple galop d’essai, une bonne séance d’échauffement avant le grand match. Et que ce qu’on veut maintenant de Craig Davidson, c’est qu’il nous offre un combat en douze rounds, un vrai roman. Qu’il chausse les gants, et qu’il frappe fort, comme il sait si bien le faire dans ses nouvelles.

Xavier BRUCE

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