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Les critiques de Bifrost

Jackpots

Jackpots

Robert A. HEINLEIN
ACTUSF
240pp - 15,20 €

Bifrost n° 63

Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63

Voyager dans le temps vous intéresse ? Aucun doute alors, ce recueil est pour vous. En effet, au fil des quatre récits qui le composent, on retrouve le parfum suranné des temps de Guerre froide, l’affrontement des blocs Est/Ouest, et la douce fragrance anxiogène de la menace atomique planant sur tout et tous. Cette époque où les femmes n’étaient souvent que des faire-valoir dont le seul horizon se résumait à un mariage digne de ce nom. Mais n’allez pas pour autant croire que l’auteur de L’Histoire du futur manie les clichés et aligne les stéréotypes. Au contraire ! Il a même le don (l’arrogance ?) de prendre à rebrousse-poil l’optimisme et le volontarisme parfois béats de ses éditeurs de l’époque, tel John Campbell.

Ce qui explique que ce dernier ait, dans un premier temps, refusé de publier « La Création a pris huit jours », seule nouvelle inédite du présent recueil. Et cela peut se comprendre, tant la race extraterrestre qu’elle met en scène s’avère éloignée des aliens communs aux années 40 — une vision qui se rapproche bien davantage de celles d’auteurs contemporains. Pas de créature cruelle rêvant de réduire la Terre en esclavage pour finir par être vaincue grâce au courage de quelques humains valeureux, donc, mais des entités infiniment supérieures à l’homme, bien au-delà de ses capacités, résolument… autres. A tel point que la fin du récit ne donne aucune réponse précise, se contentant de quelques pistes ; on imagine combien cela devait déranger et surprendre à l’époque — et même encore de nos jours, d’ailleurs, quand on pense aux films du type Independence Day, ou aux réactions suscitées par un roman comme La Nef des fous de Richard Paul Russo…

« Une année faste », retraduit par Eric Pi-cholle pour l’occasion, texte qui clôt Jackpots, prend pour base une théorie de 1947. Selon deux économistes, 1952 serait l’année de conjonction de plusieurs cycles majeurs (économique, géologique, biologique…). Partant de cette idée, Heinlein nous présente une fin du monde à travers les yeux d’un couple atypique : une jeune femme qui, sans savoir pourquoi, s’est livrée à un strip-tease dans les rues de Los Angeles, et son sauveur, Potiphar (quel prénom !), observateur pointilleux de ces cycles. Le résultat s’avère amusant, et ce en dépit d’une conclusion pessimiste et d’un ton, une fois encore, quelque peu suranné. Une parenthèse ludique que nous offre celui qui aimait tant jouer avec ses lecteurs.

Plus noire dans le ton et le contexte, « Solution non satisfaisante », publiée en mai 1941, est davantage un constat désabusé et inquiet qu’un plaidoyer contre les dangers du nucléaire. Ainsi, quoique pensent ou tentent les personnages de cette nouvelle, rien n’y fait : la découverte de cette puissance phénoménale a bel et bien changé le monde. Et pas nécessairement en bien. La démonstration est aussi implacable que fascinante, et même si certains détails techniques datent inévitablement l’ensemble, le texte ne perd rien de sa force.

Enfin « Sous le poids des responsabilités », texte d’ouverture du recueil, vient en dernier quant à l’intérêt et la richesse. Ici proposé dans son ancienne traduction du « Livre d’or de la science-fiction », ce n’est pourtant pas cela qui en fait le récit le plus faible de Jackpots, mais bien la comparaison avec les trois nouvelles suivantes. On suit le sacrifice assez involontaire d’un pilote de torche, seul vaisseau capable d’apporter à temps à une colonie lointaine le remède miracle. Touchant, mais bien moins séduisant que le reste du recueil.

Reste au final un ensemble convaincant, assez grave dans ses thèmes et représentatif du talent de Robert Heinlein, bref une occasion toute trouvée de (re)découvrir un auteur fascinant et ô combien fondateur. Une belle initiative que cette publication, en somme.

Raphaël GAUDIN

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