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Les critiques de Bifrost

 « L'image vacille légèrement ; un très vieil homme apparaît, alité et visiblement épuisé. C'est Alfred Lanning, qui, bien qu'à l'agonie, semble décidé à faire quelques confessions avant de mourir. Il parle directement à la caméra. — La première fois que j'ai rencontré Susan Calvin, elle avait six ans. Son père était deuxième directeur adjoint responsable du développement à l'U.S. Robots... »

Il était une fois des histoires de robots. Mais attention, pas n'importe quels robots, pas du genre en tout cas à massacrer l'homme, son créateur, comme un vulgaire Terminator. Non. Ces robots-là obéissent à trois lois, des lois qui, justement, les empêchent d'avoir ce genre d'attitude que la morale réprouve. Bien sûr, on l'aura reconnu, l'inventeur de ce guide de conduite de nos amies les machines n'est autre que le grand Asimov, le même dont les histoires réunies en recueils (Les robots, Un défilé de robots chez J'ai Lu), sont devenues depuis belle lurette d'immenses classiques. Aussi et même s'il y a peu de chance de voir un jour la programmation de sa machine à laver obéir aux Trois Lois de la Robotique d'Asimov, il est incontestable qu'elles ont marqué.

Il était une autre fois un écrivain, Harlan Ellison, familier des plateaux de séries télé et grand ami d'Asimov. Ensemble, ils conçoivent un projet fou : mettre en scène ces histoires de robots et les porter au cinéma. Ellison planche sur le sujet, n'en dort plus, pond un manuscrit prometteur qu'il soumet aux dirigeants de la Warner Bros. Et... et puis c'est tout. Ça se passait en 1978 et depuis, plus rien. Aucun résultat, pas de film. Pour diverses raisons qu'il serait vain de reproduire ici (querelles personnelles, revers de fortunes...), le film I, Robot ne verra jamais le jour, du moins pas sur grand écran. Asimov, mort en 92, n'aura jamais connu la même consécration, en tout cas de son vivant, que d'autres monstres sacrés tel Arthur C. Clarke (2001) ou Philip K. Dick (Blade Runner).

Au-delà d'un constat d'échec, on a là un texte original qui se démarque des nouvelles d'Asimov et constitue, sans doute, un bel hommage à l'auteur disparu. D'habitude Ellison n'a pas sa plume dans sa poche et a un style plutôt décapant. Suffit pour s'en convaincre de lire le recueil Dangereuses Visions (J'ai Lu) par exemple, une manière qui le distingue nettement d'un Asimov plus posé et détaché. Aussi, sur cette adaptation il s'en est plutôt bien tiré et parvient, à partir de quelques nouvelles, a créer une véritable histoire centrée sur la vie de Susan Calvin robopsychologue. À travers l'enquête de Robert Bratenahl, journaliste intrigué par sa présence lors de l'enterrement d'un président, on verra quel rôle elle aura joué dans l'intégration des robots dans la société du futur, depuis le moment où l'un des premiers robots, craint et rejeté, sauve la vie d'une enfant, jusqu'à la révélation finale.

Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes ici en présence d'un scénario de film. Le texte a donc une forme un peu déroutante, du moins jusqu'à ce qu'on parvienne à se familiariser au découpage séquentiel (317 scènes au total !), et aux éléments destinés à la mise en scène (cadrage, fondus, description d'ambiance...). Cerise sur le gâteau, le texte est assorti d'illustrations N&B superbes, en dépit du peu de qualité de la reproduction, signées Mark Zug, qui viennent compléter le spectacle. Ne vous étonnez donc pas si, à la lecture, vous vous sentez saisi d'une impression curieuse. Installez-vous confortablement dans votre fauteuil préféré, prévoyez le sac de pop-corn à portée de main et laissez-vous bercer par les images : vous êtes au cinéma !

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