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Les critiques de Bifrost

La Millième Nuit

La Millième Nuit

Alastair REYNOLDS
LE BÉLIAL'
144pp - 10,90 €

Bifrost n° 110

Critique parue en avril 2023 dans Bifrost n° 110

Si le cycle des « Inhibiteurs » est la partie la plus renommée, et assurément la plus volumineuse, de la bibliographie d’Alastair Reynolds, du moins en termes de romans, il n’en constitue pour autant pas forcément le pinacle, bien qu’il s’inscrive indubitablement parmi les grandes sagas de SF du dernier quart de siècle. Cet honneur suprême pour­rait en effet bien revenir au cycle « House of Suns », qui se compose pour le moment d’une novella, d’un roman et d’une nouvelle, bien que l’auteur ait déjà évoqué la possi­bilité de donner au second une suite, House of Machines. On espère que l’intérêt récent pour sa saga dans l’Hexagone l’incitera à donner corps à ce projet !

Tout commence lorsque Reynolds est invité à participer à l’anthologie One Million A.D., dont la thématique est, comme son nom l’indique, le très lointain futur. Lui qui a toujours adoré ce gen­re d’histoires mais n’a, jusque-là, jamais dépassé l’an 74 000, est enthousiaste, et écrit la no­vella La Millième nuit, qui se déroule, elle, deux millions d’années dans l’avenir ! Ce nouvel univers reprend un des principes cardinaux du Gallois, l’impossibilité de dé­passer la vitesse de la lumière, mais comme dans le cycle des « Inhibiteurs », cette limitation n’empêche pas l’Humanité (ou plutôt la trans/post-Humanité) de coloniser un certain nombre de systèmes stellaires dans un volume d’espace conséquent. Outre la différence d’époque (les romans centrés sur les Inhibiteurs se déroulent entre le XXVe et le XXIXe siècle, et ils sont plus préoccupés par le passé de la Galaxie que par son futur) et le fait qu’il n’y ait pas d’espèces extrater­restres vivantes concurrençant notre expansion, l’autre contraste frappant entre les deux con­textes réside dans l’échelle : cette fois, les humains ont colonisé tout ce qui pouvait l’être dans la Voie lactée ! La novella est centrée sur une des factions majeures de cette épo­que, une lignée clonale de mille individus nommée Gentiane, en référence à sa fonda­trice, Abigail Gentian. Chaque fois que les Gentians font un tour complet de l’espace colonisé (à l’époque du récit, cela leur prend 200 000 ans !), ils se réunissent ensuite pour mille nuits (une par clone), échangeant via la technologie, sous forme de « rêves », un résumé (imaginez un monta­ge façon vidéo Youtube !) de leurs découvertes, exploits ou péripéties du tour galactique précédent. La Millième nuit nous fait assister à l’une de ces réunions, au cours de laquelle les deux protagonistes récur­rents du cycle, Campion et Purslane, vont découvrir que le songe d’un autre clone pré­sente des omissions et des incohérences, mettant à jour deux énormes secrets (dont un n’est pas sans rapport avec un élément important du cycle des « Inhibiteurs »). L’intérêt du texte réside plus dans son univers fascinant que dans son intrigue, un meurtre en chambre close assez classique.

En 2007, cherchant une idée pour son prochain roman, Reynolds est interrogé par un fan qui lui demande s’il compte explorer à nouveau l’univers de La Millième nuit. Il n’en avait pas l’intention, mais cette demande le fait changer d’avis, et il écrit alors ce qu’il décrit comme un de ses romans favoris, House of Suns, notamment parce que, con­trairement aux autres, il sort de son clavier sans effort ou impasses créati­ves. Il reprend le contexte – qu’il étend énormément, ayant infiniment plus de pages pour ce faire – et les personnages de La Millième nuit, y com­pris certains qui y sont morts, et décale le tout à six millions d’années au lieu de deux. On y retrouve Campion et Purslane, lancés dans une poursuite échevelée d’une galaxie à l’autre et dévoilant des mys­tères encore plus grands et époustouflants que dans la nouvelle.

Le Gallois revient une der­nière fois (pour l’instant ?) à cet univers en 2017 avec la nou­velle « Belladonna Nights », texte poignant et très réussi où Campion assiste aux mille nuits d’une autre Lignée clonale que la sienne, et révèle là en­core un énorme secret.

L’univers de House of Suns et des textes courts associés est un chef-d’œuvre de hard SF et de sense of wonder d’un calibre et d’une échelle spatio-temporelle absolument rarissimes, même parmi les plus grands maîtres de la SF. Il est à découvrir impérativement par tout amateur du genre qui se respecte !

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