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Les critiques de Bifrost

Genèse de la cité

Genèse de la cité

N. K. JEMISIN
J'AI LU
512pp - 22,00 €

Bifrost n° 102

Critique parue en avril 2021 dans Bifrost n° 102

La multi-primée N.K. Jemisin est de retour pour une nouvelle trilogie. Ainsi, après la trilogie des «  Livres de la Terre fracturée », l’autrice abandonne cet univers de fantasy dépouillé au profit d’une ville crasseuse, grouillante, baignée d’une noirceur toute lovecraftienne et de ses créatures poisseuses. Le point de départ de Genèse de la cité est à chercher du côté de la nouvelle« Grandeur naissante », parue dans l’excellent recueil Lumières noires. Seules les dernières lignes ont été changées, afin de permettre à l’histoire de prendre son envol. Et quelle histoire ! Certaines villes, parvenues à maturité, prennent vie. Pour cela, elles choisissent un individu qui va les représenter. Elles vivent dans ce dernier, s’incarnent en lui, littéralement. Mais cela se produit de façon soudaine, sans prévenir : pas de carton d’invitation, juste des impressions, fugaces, de déformation de l’espace, de point de vue… Et voilà New York : jeune homme paumé, marginal, fragile, exprimant ses visions sur des murs de sa ville. Mais il n’est pas seul, car New York est multiple. Chaque quartier de la grosse pomme va se choisir un – ou plus souvent une – représentant(e).

Car chez N.K. Jemisin, pas question de suivre les quotas habituels : l’homme blanc n’a pas le premier rôle, bien au contraire. D’ailleurs, quand il en a un, de rôle, c’est plutôt le mauvais, celui du traître, du vendu. À travers les institutions, la police, les forces installées. Ici, place à la diversité, place à une représentation plus fidèle de la population new-yorkaise. Le Bronx, par exemple, s’incarne dans une femme noire certes âgée, mais au tempérament sanguin, une personnalité forte capable de donner une leçon à ceux qui ne respectent pas les règles, ceux qui tentent de s’en prendre à son centre d’art. Tout l’inverse de la vierge blanche effarouchée vivant encore chez papa-maman à Staten Island, cette île, qui ne se sent pas vraiment new-yorkaise, reliée à Brooklyn par le trop cher Verrazzano Bridge. Le tableau général manque donc parfois de finesse, mais reflète les oppositions et les contentieux très forts tissés entre les différentes communautés, les différents cultures et sensibilités.

Au début du récit, le ton oscille entre l’onirisme et le désordre. Et l’histoire tarde à se mettre en place, en même temps que le lecteur découvre les personnages principaux. Parvenir à s’intéresser aux enjeux proposés requiert de fait une bonne dose de patience, un enjeu qui se résume au combat entre une ville personnifiée, un groupe de personnes liées entre elles plus ou moins volontaires, et des créatures monstrueuses d’inspiration fortement lovecraftienne (l’auteur lui-même est cité, et son racisme mis en avant).

L’intérêt tient avant tout aux échanges entre les différents protagonistes, à la vision offerte de cette ville de New York polymorphe, aux composantes si proches et à la fois si éloignées. Les dialogues entre les représentants de chaque quartier valent parfois leur pesant de cacahuètes. Gageons que les connaisseurs des lieux apprécieront tout particulièrement ; le texte donne en tout cas une furieuse envie de s’y immerger.

Non sans certaines réserves, on attendra donc la parution du deuxième tome de cette trilogie (encore !) annoncée pour mieux comprendre où diable N.L. Jemisin souhaite nous entrainer.

Raphaël GAUDIN

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