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Les critiques de Bifrost

Flashback

Flashback

Dan SIMMONS
POCKET
800pp - 9,10 €

Bifrost n° 101

Critique parue en janvier 2021 dans Bifrost n° 101

2035 : le monde est dans un état désastreux – enfin, selon nos critères d’Occidentaux, car le Japon et les pays musulmans règnent. Une Europe islamisée suite à l’arrivée continue d’immigrés et à la faiblesse des gouvernements. Une Chine en pleine déliquescence. Que dire des USA ? Leur territoire est divisé, aux mains des différents groupes ethniques, comme les Spaniques, mais aussi les « nègres et les chinetoques ». Les GPS sont programmés pour éviter les lieux victimes des attentats suicides quotidiens. Toute l’économie part à vau-l’eau. De toute façon, l’essentiel de la population est constitué de drogués au flashback, substance permettant de revivre des scènes du passé de manière criante de vérité. C’est le rêve et le seul recours de ceux qui, déboussolés, pensent que c’était mieux avant et redoutent d’affronter une réalité vraiment pas rose.

De ce pays en pleine décrépitude, l’ancien inspecteur Nick Bottom est un parfait représentant. Complètement anéanti depuis la mort accidentelle de son épouse, il passe son temps à retourner, grâce à la drogue, à une vie enfuie depuis longtemps. Il travaille juste ce qu’il faut pour récupérer des doses. Incapable de s’occuper désormais de son fils, il l’a confié à son beau-père. Nick Bottom est une épave, tout juste bonne à ressasser des regrets sur l’ancienne grandeur de sa nation, avant l’arrivée de tous ces immigrés. Malgré cela, un haut dignitaire japonais l’engage pour enquêter sur la mort de son fils, plusieurs années auparavant. Chose étrange, c’est Nick qui avait déjà mené les recherches, à l’époque, pour le compte de la police. En vain. Pourquoi donc faire appel à lui, tant de temps après, alors qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même ?

Flashback est un thriller, pas de doute. Dan Simmons a conçu un scénario raisonnablement complexe qui tient la route, avec ses fausses pistes et une fin à multiples rebondissements. La structure du roman permet de maintenir le suspens : on y suit en alternance Nick, son fils et son beau-père. L’auteur, en vieux routier, sait utiliser ces multiples trames pour obtenir un rythme qui pourrait être haletant. Car, au fil des pages, un doute s’installe : on en vient à se demander si Dan Simmons veut juste nous raconter une histoire, s’il n’a pas une autre idée en tête. Souvent, on se retrouve devant un grand déballage sur l’état du monde façon café du commerce plutôt que dans un thriller.

Dans un récit, de surcroît de SF, il est normal de poser les bases et dresser le décor. Ici, on a affaire à un étalage répétitif et, à force, lourdingue – quand bien même on partagerait le point de vue de l’auteur. L’action est trop souvent interrompue par des pages et des pages de réflexions plus ou moins étayées – avec Shakespeare comme garant intellectuel –, de descriptions de la société imaginée par l’écrivain. Une société américaine (et européenne – occidentale, en somme) victime de son accueil généreux des étrangers, qui finissent par pourrir le système de l’intérieur et en prendre le pouvoir, mais aussi de son système de répartition de richesses et d’aide aux soins. Dan Simmons ne s’y montre pas partisan de toute forme d’assistance étatique. Là n’est pas le problème. Chacun a ses opinions et peut les partager dans un récit, d’autant que celles de cet auteur ne sont pas cachées. Le souci ? La mesure. Dans Flashback, Simmons la dépasse allègrement, transformant certaines pages en pamphlet long et indigeste. Dégraissé d’une bonne partie de cette critique sociale, ce roman serait un divertissement efficace, aux rouages classiques mais bien huilés. Une plongée inquiétante dans un avenir digne des cauchemars d’un partisan de Donald Trump face à une Amérique fantasmée version Bernie Sanders.

Raphaël GAUDIN

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