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Les critiques de Bifrost

Elfes et Assassins

Elfes et Assassins

Raphaël ALBERT, Pierre BORDAGE, David BRY, Fabien CLAVEL, Fabrice COLIN, Jeanne-A DEBATS, Anne FAKHOURI, Anne DUGUËL, Johan HELIOT, Nathalie LE GENDRE, Jean-Philippe JAWORSKI, Xavier MAUMÉJEAN, Rachel TANNER, Sylvie MILLER, Lionel DAVOUST
MNÉMOS
320pp - 16,00 €

Bifrost n° 72

Critique parue en octobre 2013 dans Bifrost n° 72

A chaque édition du festival des Imaginales, son anthologie, et pour la deuxième année consécutive ce sont Sylvie Miller et Lionel Davoust qui s’y collent.

Le millésime 2013 traite de deux figures particulièrement éculées de la fantasy, mais comme toujours, carte blanche est donnée aux auteurs pour aborder le thème directeur sous des angles inédits et, pourquoi pas, en tirer la substantifique moelle…

A tout seigneur tout honneur : las, Bordage nouvelliste déçoit encore avec une histoire de contrat criminel au dénouement ultra prévisible (« La Dernière affaire de Sagamor »). Un texte de pure commande qu’on dirait torché en deux heures top chrono. Raphaël Albert mêle féerie, ambiance steampunk et goule hurlante dans un récit épistolaire (« La Seconde mort de Lucius Van Casper ») trop empesé par ses maladresses de style et de construction pour convaincre vraiment. Les voleurs d’innocence de « La Légende d’à peu près Punahilkka » (Nathalie Le Gendre) ne nous volent malheureusement que notre temps. Un beau titre, le reste relève de l’anecdote. Composé par une auteure qui n’a pas oublié combien l’imagerie attachée à l’enfance peut-être cruelle (Anne Duguël), « Le Sourire de Louise » se veut le portrait vacillant d’une mère confrontée à une théorie de petits êtres aux ailes diaphanes et aux crocs acérés qui se sont mis en tête de décimer sa famille… Un temps séduisante, cette glaciale série B se révèle, avec un peu de recul, peut-être trop systématique dans ses effets. A chaque anthologie son blockbuster : les Imaginales 2013 ont « Le Sentiment du fer », signé Jean-Philippe Jaworski. Soit un récit d’infiltration au cœur du palais d’un potentat du Vieux Royaume, qu’on dirait tiré tout droit d’un épisode d’Assassin’s Creed. Le matériau, les personnages, l’ambiance hyper travaillée, le style touffu, le nombre de pages, tout concourt à une production qui sort de l’ordinaire. « Du rififi entre les oreilles », d’Anne Fakhouri, réunit dans le Chicago de la prohibition des truands plus ou moins cérébraux que tout sépare, contraints de faire équipe contre un perfide ennemi commun. Pas mal du tout. Inspirée de faits réels, le récit de Rachel Tanner (« La Nature de l’exécuteur ») évoque le sort des résistants écolos opposés à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, commandité par des entrepreneurs sans scrupules et de méchants serviteurs de l’Etat. Une bonne idée de départ, un sujet grave, que viennent détériorer trop d’invraisemblances dans le scénario, des décors qui hurlent le carton-pâte et une plume moralisatrice pas toujours heureuse. « Libera me », par Fabien Clavel, est le récit d’une quête futuriste absconse où il est question de ghetto, de fées abandonnées ou bien pourries, d’ivresse, de désert, de noirceur et d’immortalité. Un cocktail quelque peu indigeste, traversé toutefois d’étranges fulgurances. « Eschatologie du vampire », de Jeanne-A Debats, qui rivalise en longueur avec la nouvelle de Jaworski, ne tient pas deux minutes la comparaison. La faute à une intrigue laborieuse, pour ne pas dire paresseuse, et une prose inutilement bavarde. Une contribution dans l’ensemble pénible à lire, sauvée du naufrage par quelques traits d’humour ravageur. Récit le plus politique de ce millésime 2013, « Elverwhere », de Xavier Mauméjean, raconte les préparatifs (logistique, endoctrinement mental, etc.) d’un complot visant à éliminer le méchant souverain d’une Europe mise en coupe réglée par les Cours féeriques. Entrée en matière dynamique, contexte finement évoqué, personnages intéressants, sens de la composition et de la réplique : un sans-faute. « Sans douleur », de Fabrice Colin, met en scène un type sans qualité ni défaut qui doit trouver un ange anesthésiste (comprendre : pratiquant l’euthanasie) pour aider sa femme à mourir en douceur. Une réflexion à la fois tendre et rêveuse sur la finitude. « J’irai à la clairière », de David Bry, est un conte médiéval des débuts du christianisme ou de la fin du paganisme, c’est selon. Cette énième variation sur le thème du chasseur (l’homme) et de la proie (l’être des bois) pousse le premier nommé au bout de ses limites physiques et émotionnelles. De même que les lecteurs, sans aucun doute. Enfin, « Grise neige » de Johan Heliot invoque un passé maudit pas si lointain où le souffle de la Bête immonde réduit les saisons, les hommes, les histoires, en cendres. Une poignante allégorie de l’holocauste.

Bilan ? Une grande hétérogénéité dans les contributions, comme il en va d’ordinaire pour ce genre d’exercice. Quelques faiblesses ou ratages majeurs, un manque global d’ambition, contrebalancé par une poignée de textes tout à fait remarquables. Plus un blockbuster ! Une idée pour l’année prochaine : pourquoi ne pas ouvrir l’anthologie à des auteurs étrangers de la trempe d’un Lucius Shepard ?…

Sam LERMITE

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