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Les critiques de Bifrost

Dévolution

Max BROOKS
LIVRE DE POCHE
8,20 €

Bifrost n° 108

Critique parue en octobre 2022 dans Bifrost n° 108

Le pitch n’était pourtant pas si mauvais. De riches Occidentaux écolos décident de quitter la ville bruyante et furieuse pour se réfugier à Greenloop, un havre de paix high-tech au beau milieu de la forêt américaine. L’objectif : une existence communautaire en harmonie avec la nature sauvage ; vivre sainement et sereinement selon les principes du développement personnel et du wifi. Mais une force brutale – une horde de Yétis affamés – est tapie dans les fougères. Et lorsque l’éruption d’un proche volcan l’y poussera, celle-ci sortira de sa cachette et sèmer la panique.

Émoustillé, on se met à demander : y trouvera-t-on une métaphore bien sentie de la psyché moderne ? Des rapports intéressants se noueront-ils entre ces Autres et le groupe de bobos surprotégés ? Et cette « dévolution » annoncée dès la couverture, comment sera-t-elle mise en scène ? Hélas, le traitement de ces questions reste sommaire et on déchante vite. Certes, les Bigfoots sortent du bois pour manger et c’est censé faire peur. Mais nous, lecteurs, restons sur notre faim.

En fait, on s’ennuie à mourir dans ce roman sans réel enjeu ni suspense. Les membres de la communauté ont beau être décimés les uns après les autres par les créatures velues, on reste de marbre. La raison est simple. Malgré la volonté de l’auteur de nous plonger dans le feu de l’action via le journal intime de l’une des habitantes du lieu – et donc de mettre les sentiments et les relations au premier plan –, la psychologie des personnages est désespérément fade et attendue. Certains d’entre eux ne sont que des caricatures juste bonnes à nourrir les vilains méchants grands singes. Ceux-ci ne reçoivent d’ailleurs pas un traitement beaucoup plus favorable, même si un effort notable est accompli pour dépeindre des personnalités diverses unies par de forts liens sociaux.

Finalement, un seul protagoniste retient l’attention. Non pas l’héroïne, dont la progressive « transformation/dévolution » fait plutôt sourire et prépare – qui sait ? – une suite, mais son mentor : Mostar, une artiste bosniaque d’un certain âge que la guerre de Yougoslavie, dans les années 1990, a habituée à la survie.

À ce propos, en quelle année sommes-nous ? Peut-être aujourd’hui ou dans un futur proche. Les technologies n’ont pas vraiment évolué (tout au plus trouve-t-on une domotique améliorée et une connexion à internet plus puissante) ; aucune révolution scientifique ne vient non plus compliquer le tableau et on reconnaît sans peine la upper class étatsunienne, ainsi que le paysage politique contemporain. Rien de bien neuf de ce côté, donc. Max Brooks préfère naviguer entre horreur et fantastique sans toucher de trop près à la science-fiction ou à la spéculation. Notre conseil : si vous avez autre chose à faire, n’allez pas vous perdre à Greenloop, vous y tourneriez en rond.

Nicolas DELFORGE

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