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Les critiques de Bifrost

Aventures sidérantes, l’antho pulp !

Aventures sidérantes, l’antho pulp !

Xavier DOLLO, Martin LESSARD, Jean-Michel CALVEZ, Patrice LAJOYE, Olivier CARUSO, Nando MICHAUD, Christian LÉOURIER, Bruno Fabrizio POCHESCI, Cyril CARAU, Éric VIAL-BONACCI, Emmanuel QUENTIN, Laurence SUHNER, Pierre GÉVART, Élodie BOIVIN, Alain RO
FLATLAND
256pp - 16,00 €

Bifrost n° 100

Critique parue en octobre 2020 dans Bifrost n° 100

Concoctée par Martin Lessard, auteur québécois décédé en août 2018, la publication de cette anthologie a quelque chose d’émouvant. Ainsi, après avoir publié Terre sans mal chez Denoël en 2010, c’est chez Ad Astra que Lessard fit paraître Les Saisons de l’indépendance. Comme l’explique Xavier Dollo dans son introduction, suite à cette dernière publication, Lessard et Ad Astra étaient devenus intimement liés, et le décès du premier correspondit à la fin de l’aventure éditoriale de la seconde. Or, l’anthologie était constituée, aussi n’attendait-elle qu’un nouvel éditeur pour reprendre le flambeau – en la personne de Lionel Évrard, qui accepta d’accueillir le projet chez Flatland. Aventures sidérantes, sous-titré « L’antho pulp ! », nous arrive donc avec un fort capital sympathie ; reste à voir si l’objet final saura s’en montrer digne…

Il est souvent d’usage, lorsqu’on chronique une anthologie, de dire qu’elle propose du bon et du moins bon, voire du pas terrible ou du franchement scandaleux. À la lecture d’Aventures sidérantes, on ne saurait dresser un tel constat, tant il se dégage de l’ensemble une grande homogénéité. Soyons clairs, on n’y trouvera aucun chef-d’œuvre, mais rien à jeter à la poubelle non plus. Les auteurs réunis ici s’acquittent avec professionnalisme et enthousiasme de leur objectif, nous proposant de suspendre notre incrédulité afin que la sidération fasse effet. Mais, au fond, qu’entend-on par pulp ? Est-ce que ces textes sont liés par des thématiques communes ? Un état d’esprit partagé ? Des techniques d’écriture proches ? Un peu de tout ça, finalement. Certaines thématiques reviennent, au premier rang desquelles l’affrontement entre l’Humanité et d’autres créatures, qu’il s’agisse d’invasions de la Terre, de combats pour la possession d’autres planètes, voire de batailles spatiales… La guerre était un grand motif d’histoires de l’Âge d’or de la SF américaine, il est donc logique que près de la moitié des textes s’intéressent à ses différents aspects (Carau, Léourier, Michaud, Quentin) ; mais n’allez pas croire qu’il s’agisse d’une anthologie militariste, loin de là. On y trouve aussi plusieurs des récits de contacts extraterrestres, des robots, la recherche d’un diamant fameux, une virée chez les super-héros, et bien sûr des savants fou (ce bon docteur Moreau, qui se frotte à Darwin)… Et même le futur du loto (Calvez) ! Bref, la palette est complète au gré de ces seize nouvelles, en majeure partie tournées vers l’action (Pochesci, Laframboise). C’est une des autres caractéristiques du pulp : des textes rythmés qui, s’ils n’oublient pas de faire réfléchir, privilégient des narrations dynamiques fidèles aux couvertures chatoyantes auxquelles rend hommage celle de Xavier Collette. Enfin, le pulp visant la sidération du public, l’une de ses techniques de narration préférées était de proposer des nouvelles à chute, qui ont le don de retourner le point de vue du lecteur, lui ouvrant des perspectives insoupçonnées ; on retrouvera ici aussi, bien entendu, le procédé (Lajoye, Léourier).

Le pulp, il ne faut pas l’oublier, date toutefois d’une autre époque où la très grande majorité des auteurs étaient masculins, à l’image du lectorat. Rien d’étonnant donc à ce que la virilité soit régulièrement exacerbée, virant au machisme. Les textes réunis, s’ils jouent parfois avec ces codes, dépoussièrent aussi allègrement ces vieux meubles par la présence de trois autrices (Boivin, Laframboise, Suhner), des récits où les femmes tiennent le premier rôle (Joby), voire la vision inversée dans laquelle la haute chaîne du commandement est exclusivement féminine (Gévart).

Au final, Aventures sidérantes se révèle une anthologie plus que correcte conforme à ce qu’on pouvait en attendre : un livre fun composé de textes dont la sympathie et le dynamisme, communicatifs, emportent l’adhésion. Une lecture sans doute légèrement régressive, mais délassante et bienvenue, en somme un parfait hommage à ce pan séminal de la littérature de science-fiction d’aujourd’hui, qui a bercé nombre de lecteurs du genre, au premier rang desquels, à n’en pas douter, Martin Lessard.

Bruno PARA

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