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Les critiques de Bifrost

Autonome

Autonome

Annalee NEWITZ
DENOËL
21,00 €

Bifrost n° 92

Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92

Avec les progrès des imprimantes 3D, les médicaments se copient à volonté, se modifient, s’adaptent – il suffit juste de posséder les connaissances scientifiques suffisantes. Et pour qui ne craint pas les avocats ou les gros bras des compagnies pharmaceutiques, il est même possible de vivre convenablement de ce piratage de brevets. Et si en plus on a un fond d’idéalisme, que le besoin de lutter contre ces monopoles injustes se fait sentir, la voie est toute trouvée. Jack Chen a basculé dans la clandestinité des années auparavant. Depuis, elle participe, à son niveau, à une résistance contre les grands groupes du médicament. Mais sa copie du Zacuity, un « merveilleux produit » permettant d’augmenter la productivité au travail, semble trop efficace. Certaines personnes se tuent littéralement à leur tâche, oubliant jusqu’à l’idée même de s’arrêter. Jack va donc tenter d’en apprendre plus sur cette molécule afin de comprendre les raisons de ces accidents mortels. Mais aussi de sauver sa vie. Car certains responsables préféreraient la voir disparaître, histoire d’éviter toute mauvaise publicité. Eliasz et Paladin sont donc envoyés à ses basques. L’un est humain. L’autre est un biobot.

Autonome séduit par la cohérence de son univers. Les imprimantes 3D permettant d’obtenir tout et son contraire (même si c’est loin d’être nouveau : Gavin Chait, dans Complainte pour ceux qui sont tombés – à paraître en novembre aux éditions du Bélial’ –, et bien d’autres ont anticipé cette révolution technique en passe de modifier notre relation aux objets) ; la mousse synthétique aux propriétés multiples, utilisée par exemple pour les routes ; les multinationales pharmaceutiques verrouillant toutes la production de médicaments ; les Freelabs et leur lutte contre les précédentes ; les liens entre les robots ; et donc, les biobots, ces êtres artificiels dont la carapace renferme un cerveau humain nécessaire pour distinguer les visages, et, avant tout, comprendre les émotions retranscrites par leurs traits. Le roman est rempli de ces êtres aux formes variées, mais l’on suit en particulier Paladin lors de sa première mission. Il y découvrira les humains, leur façon d’agir et leurs sentiments. Eliasz est en effet rapidement et fortement attiré par son coéquipier mécanique. Et Paladin doit comprendre en quoi tout cela consiste avant de réagir convenablement ; prendre de lui-même une décision, si sa programmation le lui permet.

Car le grand thème de ce roman est, comme son titre l’indique, le lien d’asservissement : les robots asservis aux humains, cela ne choque a priori personne. Mais d’autres humains asservis à leurs semblables, cela ressemble furieusement à de l’esclavage. Et pourtant, c’est l’une des bases de cette société du XXIIe siècle. Tout le monde peut, s’il n’a pas les moyens de vivre, donner à un autre, via un contrat, tout pouvoir sur sa personne – contrat qui peut alors, le cas échéant, être revendu à un tiers. Ainsi est-il possible de changer de propriétaire, mais également de rôle, sans avoir son mot à dire : perspective peu réjouissante que connaissent quantité d’individus.

Pour intéressant que soit l’univers du roman, il n’en est pas moins d’une lecture laborieuse tant l’auteure se montre peu habile, dans l’expression des sentiments de ses personnages comme dans la progression de son action. Restent des pistes de réflexion fascinantes sur certains progrès de la science et notre façon de nous y adapter. Une nécessité, comme toujours : imaginer le futur pour mieux nous y préparer. On suivra de fait les prochains écrits d’Annalee Newitz et son imaginaire vivifiant, en espérant qu’elle hisse sa maîtrise narrative au niveau de ses projections prospectives.

Raphaël GAUDIN

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