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Les critiques de Bifrost

Après nous les oiseaux

Après nous les oiseaux

Rachel HASLUND
ROBERT LAFFONT
208pp - 18,00 €

Bifrost n° 112

Critique parue en octobre 2023 dans Bifrost n° 112

Après nous les oiseaux, premier (court) roman de l’autrice danoise Rakel Haslund, emmène le lecteur dans un monde post-apocalyptique. Bien que les détails restent vagues, des catastrophes écologiques (pollution, montée des eaux) et humaines (guerres, épidémies) ont laissé une planète en ruines où la nature reprend doucement ses droits.

Au cœur de cette désolation, une jeune fille anonyme qui semble être la dernière survivante, décide de quitter son refuge et de marcher vers l’océan. Elle vit dans un isolement absolu depuis la perte de sa mère, une absence marquante qui teinte son cheminement de deuil et de sentiments complexes. Pour le lecteur, l’espoir de la survie d’autres êtres humains cohabite avec la crainte qu’une éventuelle rencontre entre survivants ne se transforme en affrontements.

Au cours de son voyage, notre héroïne tisse un lien ténu avec un oiseau qui semble l’accompagner. Les mots, jadis vecteurs de communication et de compréhension, s’effritent lentement dans son esprit. À mesure que le froid de l’hiver s’installe, l’emprise de l’oubli grandit, effaçant ses souvenirs. Bientôt, il ne subsiste plus de sa mère qu’une simple syllabe, « Am », qui encapsule la mémoire de toute une existence. La perte du langage reflète la dissolution du sens dans un monde sans repère. Pendant un temps, elle lutte contre cette amnésie grandissante en inventant un langage spécifique, imagé et parfois naïf, pour décrire son environnement. Mais à quoi sert le langage lorsqu’on n’a personne avec lequel dialoguer ?

Le style poétique et évocateur de Rakel Haslund se manifeste à travers des descriptions précises qui reflètent le calme et la mélancolie d’un monde dévasté. La narration au présent et le point de vue de la jeune fille offre un aperçu parcellaire, intime, de sa réalité fragmentée. Épurée mais chargée en émotions, l’écriture, admirablement rendue par le travail de traduction de Catherine Renaud, crée une immersion totale et évoque des images parfois glaçantes de la mort.

Après nous les oiseaux se concentre sur l’exploration introspective plutôt que sur l’action. À travers le prisme de sa protagoniste solitaire, il explore les recoins obscurs de l’errance, du désir de continuer à vivre, de la quête de sens et du rôle fondamental des mots dans un monde où la nature impose sa suprématie et où l’homme est redevenu un animal comme les autres. Le roman peut se lire comme une fiction climatique, mais c’est aussi une fable philosophique qui invite à méditer sur la puissance intrinsèque du langage dans la construction et la perception de la réalité. Malgré un prix (trop) élevé au regard de sa brièveté, ce court roman, empreint de tristesse et de beauté, constitue une invitation à explorer les profondeurs de l’âme humaine qu’on aurait tort de décliner. Chaque mot résonne longtemps après la lecture de la dernière page.

Karine GOBLED

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