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Theodore Sturgeon, le plus qu’auteur

Y aurait-il un frémissement de l’actualité autour de Theodore Sturgeon ? Sans doute, et ce n’est pas pour nous déplaire. Imaginez : en quelques mois, un numéro spécial de votre revue préférée (Bifrost n° 92) sur l’auteur, une traduction fortement révisée de Cristal qui songe par Pierre-Paul Durastanti sous la houlette de l’éditeur de J’ai Lu Thibaud Eliroff, en attendant un traitement similaire sur Les Plus qu’humains dans les semaines prochaines. Et maintenant ce volume coédité par le Forum Les Débats et ActuSF, sous la forme d’un très joli objet livre grand format, en couleurs et sur papier épais. Quand on sait que la dernière parution en France de cet auteur pourtant extrêmement réputé remonte à dix ans maintenant… Alors, on se prend à rêver, par exemple à la mythique intégrale des nouvelles de l’auteur que nous aurons peut-être un jour la joie de pouvoir lire ?

Mais revenons à cet ouvrage, pour y découvrir un portrait pleine page d’un Theodore Sturgeon au regard malicieux. C’est ce qui attire l’œil en premier dans ce livre : l’iconographie omniprésente, précieuse, riche de nombreuses images rares. Photos de l’auteur et de son entourage, extraits de la correspondance, reproductions de couvertures de ses livres, etc., le tout en couleurs. Rien que pour cette iconographie, l’ouvrage vaut le coup. Mais parlons aussi des textes. Le premier est un entretien avec l’une des filles de Sturgeon, Noël, qui est également la présidente du Theodore Sturgeon Literary Trust. Elle revient sur la carrière de son père, sur son impact sur le genre science-fiction, et dit aussi quelques mots sur la nouvelle « Tandy et le brownie » (au sommaire du Bifrost 92), où les personnages sont les enfants de Sturgeon… dont elle-même ! À la fin de l’entretien, on découvrira la passion de Sturgeon pour le bricolage, au travers notamment de plusieurs plans de mécanismes dessinés de sa main. Viennent ensuite des échanges épistolaires avec Vonnegut, Zelazny et Asimov. Il s’agit là d’authentiques documents, dont l’importance est liée à la réputation de l’ensemble de ces auteurs. Il est passionnant de lire ces lettres, témoins d’un genre en phase de consolidation au travers de quelques-uns de ses monstres sacrés. Un gros regret quand même dans la mise à disposition de ces dernières : aucune d’entre elles n’est traduite ! Si un lecteur anglophone saura les savourer, il est regrettable qu’une personne ne comprenant pas l’anglais soit privée du même plaisir… Après la reproduction d’un script de Sturgeon pour la radio, et une étonnante et impressionnante photo de l’auteur jeune en train de faire un salto aérien, la parole passe à celle qui a sans doute le plus fait pour Sturgeon dans l’édition française : Marianne Leconte, qui a réalisé d’innombrables anthologies de l’auteur au tournant des années 1970. Elle retrace sa biographie (au demeurant assez proche de l’article de Francis Valéry dans le numéro spécial de Bifrost), mettant en lumière comment ses déboires personnels et sentimentaux sont intimement liés à sa création, ce qui, pour un auteur humaniste comme Sturgeon, n’est finalement guère surprenant. Tom Monteleone revient ensuite sur sa rencontre avec l’auteur, ou plus exactement avec une certaine partie de son anatomie ; son billet, hilarant et irrespectueux, est une petite bouffée d’humour bienvenue. Philippe Hupp, organisateur du Festival de Science-Fiction de Metz, s’attarde sur la venue en France de Sturgeon. Imaginez un peu : à la première édition du festival, outre Sturgeon, on y croisait Farmer, Sheckley et Harrison — rien que ça ! Réunir l’équivalent d’un tel plateau aujourd’hui paraît impossible.

La partie sur les rapports de Sturgeon avec le cinéma et la télévision est copieuse. Fabrice Defferrard nous explique comment l’écrivain en est venu à collaborer sur deux épisodes de Star Trek, créant au passage l’iconique « Live Long and Prosper ». Si la participation de Sturgeon à Star Trek est en général bien connue, la tentative d’adaptation des Plus qu’humains par Bertrand Tavernier l’est moins. Le cinéaste s’explique quant au choix de ce texte, indiquant au passage que beaucoup de monde, dans les années 70, connaissait les écrits de Sturgeon. Il reconnaît également que si le projet n’a pas abouti, c’est aussi pour des problèmes d’incompréhension, en partie liés aux intermédiaires entre cinéaste et auteur. Ce que viennent prouver les précieux extraits de la correspondance entre les deux, reproduits à la suite. Le dossier se poursuit par deux autres entretiens avec Christian de Chalonge et Laurent Heynemann qui ont, eux, adapté Sturgeon. Avant que l’ouvrage ne se termine par un guide de lecture, où des personnalités (Dolisi, Garcia, Walton, Durastanti…) expliquent leur rapport au texte de l’auteur qu’elles ont choisi.

Passionnant de bout en bout, notamment dans son exploration des facettes méconnues de l’auteur, de son œuvre et de l’adaptation de celle-ci, faisant la part belle à une iconographie somptueuse, on l’a dit, Theodore Sturgeon, le plus qu’auteur se place donc comme le parfait complément du numéro de Bifrost consacré à Sturgeon (en dépit de l’absence de traduction de l’abondante correspondance qu’il propose).

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