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Fragments d'un miroir brisé

En 1998, Valerio Evangelisti, en collaboration avec Giuseppe Lippi, publie une anthologie, Tutti i denti del mostro sono perfetti [Toutes les dents du monstre sont parfaites]. C’est ce livre qui est à l’origine de Fragments d’un miroir brisé ; toutefois, comme la SF italienne n’était guère connue en France à l’époque de la pa­rution de Fragments, c’est-à-dire en 1999, l’auteur bolonais a préféré, plutôt que de traduire le volume original, concocter une anthologie spécifique pour le public français, censée montrer toute la palette de la SF tran­salpine. Intention louable, mais qui ne permet pas de trouver de réelle cohérence entre les différents textes. Certes, des cou­rants peuvent se déceler, comme l’indique Evangelisti dans sa courte préface – qu’on aurait aimée plus développée, tant la connaissance de la SF italienne est lacunaire de ce côté-ci des Alpes – mais, globalement, on ne pourra que savourer les textes un à un. Lesquels, c’est aussi le jeu de ce type de recueils, sont également disparates en termes de niveau et d’intérêt. On signalera donc en priorité le morceau de choix qu’est « La Baleine du ciel », novella de Luca Masali, uchronie arctique dans laquelle des soldats italiens sous Mussolini tentent de comprendre des phénomènes inexpliqués sur la banquise. Le texte final d’Evangelisti, « Kappa », est également très efficace, dans sa trame alternée au Japon et au Pérou, qui dénonce la mainmise japonaise sur le pays d’Amérique du Sud, y compris pour des raisons très sombres. Daniele Brolli nous propose dans « Tarentula » une rêverie poétique qui tourne à l’horreur, une horreur qu’Andrea Colombo aborde de façon plus anecdotique dans « Je le jure ». Luigi Pàchi traite du cyberpunk dans « La Musique du plaisir », avec son protagoniste qui s’immerge dans le virtual sound pour mieux récupérer de son quotidien glau­que. Nicoletta Vallorani, dans « Choukra », narre la rencontre sensuelle de l’homme avec les habitants de cette planète, et de ce qu’il en advint, alors que dans « Le Dernier souvenir », de Georgia Mantovani, la narratrice tente de coupler Big Crunch avec extase sexuelle et énergie orgonique – un procédé que n’aurait pas renié le maître de cérémonie, qui convoqua Wilhelm Reich dans sa série « Eymerich ».

Sans proposer de réel chef-d’œuvre, Fragments d’un miroir brisé, anthologie inégale, se révèle néanmoins une bonne porte d’entrée pour appréhender la SF italienne. À l’époque de sa parution, celle-ci était largement méconnue du lectorat français ; même s’il y eut depuis quelques tentatives éparses, vingt-trois ans plus tard, le constat reste hélas identique.

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