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Les critiques de Bifrost

Les Yeux électriques

Les Yeux électriques

Lucius SHEPARD
ROBERT LAFFONT
286pp - 14,03 €

Bifrost n° 51

Critique parue en juillet 2008 dans Bifrost n° 51

Au début des années 80, à peine sorti des ateliers d’écriture Clarion dans lesquels il fit un bref séjour, mais riche d’une expérience personnelle assez exceptionnelle, Lucius Shepard commençait à publier ses premières nouvelles, notamment grâce à l’éditeur et anthologiste américain Terry Carr. Ce dernier, fortement intéressé par le travail de Shepard, lui demanda, après la publication de sa premières nouvelle (« Corail noir »), s’il disposait d’un roman publiable ; l’auteur jura ses grands dieux qu’il avait un roman sur le feu alors même qu’il n’en avait pas écrit l’ombre d’une ligne. Après un travail acharné, Lucius Shepard livra tout de même Les Yeux électriques (1984), un premier roman prometteur même si assez inégal.

Au fin fond du bayou louisianais, des scientifiques tentent de faire revivre les morts en leur injectant un cocktail de bactéries prélevées dans les cimetières des environs. Evidemment, le cadavre doit être relativement frais et la résurrection n’est que temporaire. Peu à peu, les progrès aidant, ces zombies next generation, appelés PAIB (Personnalité Artificielle Induite Bactériologiquement) obtiennent un sursis de plusieurs mois. Sauf qu’il y a un bug dans la matrice et que les corps ne sont pas habités par leurs anciens propriétaires, mais par de nouvelles personnalités, parfois un tantinet fantasques. Physiologiquement, ces zombies ne se distinguent guère de l’être humain standard, sinon que danse au fond de leurs yeux cette étrange et inquiétante lueur verte liée à l’injection du cocktail bactérien. Donnell Harrison est l’un d’entre eux. Avant de s’appeler Donnell Harrison, il portait le nom de Steven Mears, jusqu’à sa mort d’un coma éthylique à l’âge, avancé, de 29 ans. Donnell, poète brillant et sensible, ne tarde pas à séduire sa thérapeute, Jocundra Verret. Fatigué de subir la pression et les contraintes liées au programme scientifique, d’autant plus que les responsables semblent attendre de sa part des résultats exceptionnels, Donnell se fait la belle en compagnie de la jolie Jocundra. Commence alors, à travers la Louisiane, une errance un brin surréaliste et riche en rencontres hautes en couleur.

Il manque un petit quelque chose à ces Yeux électriques pour être un grand roman, mais la capacité de Lucius Shepard à transgresser les codes du genre et à jongler habilement avec les mythes du culte vaudou, son talent fascinant pour installer en quelques phrases une ambiance lourde et prenante, font de ce roman une œuvre singulièrement attachante, d’une profonde originalité. Le style incisif et percutant de l’auteur, la beauté intrinsèque de son écriture à la fois riche et élégante, ne sont pas pour rien dans le plaisir de lecture que procure cette histoire, affublée pourtant d’une structure narrative un poil bancale. La première partie est tellement réussie que l’on aurait aimé que l’intégralité du roman se poursuive sur cette même erre. Qu’à cela ne tienne, il n’est pas donné à tout le monde d’accoucher d’un premier roman de cette qualité.

Emmanuel LORENZI

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