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Les critiques de Bifrost

Dragons

Dragons

Frédéric JACCAUD, Thomas DAY, Virginie BÉTRUGER, Jean-Claude BOLOGNE, Ugo BELLAGAMBA, Francis BERTHELOT, Charlotte BOUSQUET, Robin TECON, David CAMUS, Estelle FAYE, Eudes HARTEMANN, Philippe GUILLAUT, Jérôme NOIREZ, Fabrice COLIN, Johan HELIOT, M
CALMANN-LÉVY
18,90 €

Bifrost n° 55

Critique parue en juillet 2009 dans Bifrost n° 55

Issue d'un appel à textes ouvert aux écrivains confirmés et débutants, l'anthologie Dragons compte dix-huit nouvelles. Confessons immédiatement notre curiosité sur un point : de quelle façon les heureux élus sont-ils parvenus à s'affranchir d'un des thèmes les plus rebattus de la fantasy, la seule mention du nom « dragon » déclenchant illico une compulsion d'achat chez les esprits les plus influençables ?

Avant toute chose, ouvrons une parenthèse. Les anthologies francophones sont suffisamment rares pour qu'on se penche sur leur berceau sans jouer à la marâtre. Au pire, elles ont le mérite d'offrir un aperçu sur l'Imaginaire (S-F, fantasy et fantastique) dans l'Hexagone. Au mieux, en dressant un état des lieux partiel et a fortiori partial, elles peuvent réserver quelques bonnes surprises. Cependant, le premier étonnement n'est pas vraiment à l'endroit où on l'attend. En effet, la sélection de l'anthologiste, ici curieusement aux abonnés absents, est livrée brut de décoffrage (aucune introduction, aucun paratexte, rien, que dalle). À charge pour le lecteur, un tant soit peu curieux, de boucher les trous notamment en ce qui concerne les auteurs (qui ne sont pas présentés), même si certains ne sont pas du tout des inconnus, d'imaginer le paratexte et tout le toutim… Ceci ayant été dit, attaquons-nous aux textes.

On pouvait nourrir des craintes quant au résultat, le sujet se prêtant très facilement aux médiévaleries de pacotille et aux pires clichés du genre. On n'y échappe d'ailleurs pas complètement puisque quelques contributions plongent des deux pieds dans ce terreau propice aux mauvaises herbes. Ainsi Robin Tecon, crédité au sommaire mais absent en quatrième de couverture (coquille ou acte manqué ?), nous assène une énième variation de ce genre, alourdie de surcroît par un humour téléphoné et une écriture banale. C'est un peu moins fâcheux avec Eudes Hartemann et David Camus. Le premier s'en tire grâce au ton malicieux de son histoire qui contribue à atténuer la faiblesse du dénouement et la banalité de son inspiration. Le second réinvestit le contexte historique de ses propres romans (le cycle du Roman de la Croix chez Robert Laffont) et brode là-dessus une intrigue poussive qui s'impose surtout par son ambiance « fin de règne en Terre Sainte ». Terminons avec Virginie Bétruger dont la nouvelle, sans véritable surprise, se conclut par quelques images d'une violence convenue. Bref, jusque-là, il n'y a pas de quoi empapaouter un hennin.

Fort heureusement, une deuxième vague d'auteurs fait le choix du décalage en investissant d'autres manifestations, historique ou symbolique, de la « dragonitude », si on veut bien nous pardonner ce néologisme piteux. Pour le meilleur et pour le pire, il faut en convenir. Passons rapidement sur la nouvelle de Philippe Guillaut, un texte lourd et anecdotique, et sur celle de Charlotte Bousquet, une boursouflure à prétention poétique, par chance courte, pour nous consacrer aux autres textes. Johan Heliot acquitte honorablement, mais sans éclat, son tribut à la mythologie états-unienne et au roman noir avec un récit dont on peut juger malheureusement la conclusion un tantinet précipitée. Frédéric Jaccaud génère indéniablement une atmosphère « Grande Guerre » très convaincante. Sa nouvelle à deux voix manque toutefois du petit détail qui emporte définitivement l'adhésion. C'est finalement Estelle Faye qui ravit le morceau avec une histoire maritime d'une noirceur fort réjouissante. Incontestablement, une des meilleures nouvelles du recueil.

Immergés dans cette deuxième vague, deux auteurs se démarquent avec plus ou moins de bonheur de leurs camarades. Si le texte de Jean-Claude Bologne, un conte enfantin à la balourdise agaçante, tombe comme un bulot dans le caviar, celui de Ugo Bellagamba apparaît plus convaincant. L'auteur s'avance masqué, ne dévoilant son propos qu'au dernier moment. Et le lecteur de découvrir ainsi une nouvelle de science-fiction dont la tonalité n'est pas sans rappeler, tout à fait subjectivement, certaines pages de Roger Zelazny.

Reste le plus intéressant : les écrivains ayant réussi à investir le sujet avec leur propre thématique pour mieux le dépasser. Passons rapidement sur la nouvelle de Fabrice Colin, dont le propos anorexique ne provoque qu'un mol émoi. En revanche, Thomas Day nous étonne avec un récit profondément humain, c'est-à-dire dépourvu de gloriole et de pathos. Une sorte de fantasy « roots » qui rechercherait l'authenticité en dépouillant le genre de la charge archétypale de ses composantes. De son côté, Mélanie Fazi parvient à susciter l'émotion et le trouble avec une histoire étrange à l'ambiance old-school très réussie. Sans surprise, Jérôme Noirez nous régale d'un récit où sont convoqués la fine fleur des clichés sur la Collaboration française et le nazisme. Sa nouvelle est écrite dans une langue charnue, imagée et fort drôle qui suscite un ricanement incoercible. On en redemande ! Cela tombe bien puisque Francis Berthelot, dans un registre radicalement différent, nous émeut avec l'histoire d'une amitié contre-nature.

Un ultime regret avant d'achever cette chronique : le choix des nouvelles d'ouverture et de clôture. Là où François Fierobe se contente d'une nouvelle à la tournure didactique pesante, ne faisant rien d'autre que clore le sujet, voire le momifier au lieu de le revivifier, Daylon introduit une véritable rupture avec un texte sans concession qui s'apparente à un uppercut narratif et esthétique. Rien de mieux pour briser le cycle et impulser au motif du dragon un nouvel élan. Faire du neuf avec du vieux, en quelque sorte.

L'anthologie Dragons souffle donc le chaud et le froid. On a du mal à discerner le fil directeur qui a présidé à la réunion et à l'ordonnancement surprenant, voire déroutant, des diverses nouvelles. Et si au final l'anthologie emporte l'adhésion, c'est essentiellement grâce à une poignée de textes, tous dus à la plume d'auteurs confirmés, à deux exceptions près. Enfin, une question reste en suspens : y a-t-il un anthologiste pour assumer le dilettantisme fâcheux du projet ?

Laurent LELEU

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