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Les critiques de Bifrost

[Critique commune à Omegatropic, The Hunters of Pangaea et Revolutions in the Earth.]

« Pour moi, la recherche est la clef de tout, explique Stephen Baxter. En un sens, j’ai fait de ma vie tout entière une sorte d’exercice de recherche de bas niveau. Je lis voracement — beaucoup de vulgarisation scientifique, puisque science et technologie restent au centre de gravité de mon sujet — mais aussi un journal costaud, tous les jours, de la première à la dernière page. Et de l’histoire, des biographies… Toute cette information est traitée, en permanence. Je n’arrête pas de créer des fiches, de remplir nombre de carnets de tout ce qui retient mon attention ; et, le plus souvent, je les maintiens à jour. » Une bonne partie de cette documentation se retrouve, directement ou indirectement, dans ses fictions. Mais elle déborde parfois dans de courts essais, voire des ouvrages de « non fiction ».

Sans surprise, les sujets favoris de Stephen Baxter sont alors l’espace et la science-fiction — cette dernière racontée des deux côtés de la barrière, du point de vue de l’écrivain reconnu et de celui du connaisseur passionné. L’auteur a réuni une vingtaine de textes des deux sortes dans un recueil publié au profit de la British Science Fiction Association, Omegatropic (2001). Il y livre des « Journaux de collaborateur », avec Arthur C. Clarke en particulier (pour Lumière des jours enfuis), et expose ses idées sur la science ou les gadgets dans la hard SF ; on y trouve aussi de fascinantes variations sur « La Technologie de l’omniscience » (ou comment inscrire le projet de Clarke dans la continuité littéraire d’H.G. Wells et d’Isaac Asimov, pour mieux dépasser les trois…), sur la meilleure façon de « Reconstruire la machine à explorer le temps » (pour Les Vaisseaux du temps), ou encore sur la fin du monde (« All aboard for the Eschaton ! »)…

Logiquement, compte tenu de l’importance de la Lune et de Mars dans son œuvre romanesque (Poussière de Lune, Voyage, Anti-Ice), on trouve également dans Omegatropic plusieurs analyses du présent, des possibles futurs, et surtout des passés littéraires d’un Age de l’espace qui, « bien sûr, a refusé de suivre le script de Robert Heinlein ». Continuateur revendiqué des très britanniques H. G. Wells et A. C. Clarke, Stephen Baxter entretient une relation plus ambivalente avec l’Américain Robert Heinlein qui, s’il « a rendu possible pour les Américains de croire qu’ils pourraient atteindre la Lune, les persuada aussi que ce serait facile, ce qui ne fut pas le cas » et dont, « sur le long terme, l’influence prophétique a peut-être été plus un obstacle qu’une aide. » (« America’s Moon »). Paradoxal, Baxter admet dans « Le Vol des taïkonautes » (in The Hunters of Pangaea) que ceux qui, comme lui, persistent à « militer en faveur de l’exploration de Mars font peut-être fausse route » : les enjeux scientifiques de l’aventure martienne « n’ont pas encore suffisamment enflammé l’imagination du public pour desserrer les cordons de la bourse. Au final, nous devons bien admettre que nous sommes allés sur la Lune pour des raisons irrationnelles ; peut-être est-ce une semblable irrationalité qui nous mènera aussi sur Mars ».

Mais ses passions ne se limitent pas à la science et à l’espace. Il mobilise la même méthode et la même minutie lorsqu’il s’intéresse par exemple à « Une brève histoire de la mi-temps : le football dans la science-fiction » (Hunters of Pangea), dont le « Gardes-frontières » de Greg Egan (in Océanique) n’est pas l’exemple le moins exotique. Un tel exercice d’érudition amusera les vrais passionnés de foot, comme Baxter ; et permettra peut-être à l’amateur de hard SF de distinguer plus clairement ce qui agace parfois sous sa plume les contempteurs du genre… tout en mettant en évidence la qualité du travail proprement littéraire qui permet de passer de ce matériau brut, de la juxtaposition besogneuse de détails apparemment oiseux, à de petits joyaux de construction comme la nouvelle éponyme du recueil, « Les Chasseurs de la Pangée » (spin-off d’Evolution).

Stephen Baxter explore une tonalité intermédiaire dans Revolutions in the Earth, ouvrage à mi-chemin entre vulgarisation et monographie d’histoire des sciences. Il y retrace les efforts du pionner écossais de la géologie, James Hutton (1726 - 1797), qui consacra sa vie à démontrer que le temps de formation des structures observées à la surface de la Terre était bien supérieur aux quelque 6000 ans d’existence calculés par les Créationnistes. Là encore, la minutie scrupuleuse et l’intelligence de la géologie de l’auteur de Poussière de lune rendent un ouvrage à la fois foisonnant, solide, lisible — et un peu laborieux. Hard ou pas, la fiction lui va mieux !

Éric PICHOLLE

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