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Les critiques de Bifrost

Les Soldats de la mer

Les Soldats de la mer

Yves REMY, Ada REMY
DYSTOPIA
20,00 €

Bifrost n° 71

Critique parue en juillet 2013 dans Bifrost n° 71

Quand, voici quelques mois, les jeunes éditions Dystopia Workshop publièrent Le Prophète et le vizir, la surprise fut de taille. On ne s’attendait pas le moins du monde à voir le couple Rémy revenir à l’écriture et publier de l’inédit. Il avait eu une assez belle carrière dans les années 70, dont plus d’un se serait satisfait, mais il semblait qu’elle fût désormais de l’histoire ancienne ; le métier de cinéaste institutionnel avait définitivement pris le pas sur la carrière littéraire des époux Rémy. Ils avaient donné trois livres, comptant parmi ce que l’imaginaire français a produit de meilleur, et une poignée de nouvelles de qualité. C’était il y a plus de trente ans. J’ignore comment la route de ces vieux auteurs a croisé celle de ce jeune éditeur, mais peu importe, il suffit à notre bonheur de lecteur que cela soit. Dystopia Workshop n’en est pas resté là ; il eut été dommage, en effet, de s’arrêter en si bon chemin.

Dystopia Workshop a donc réédité le premier livre d’Yves et Ada Rémy, Les Soldats de la mer, initialement publié en 1968 chez Julliard, alors que votre serviteur se penchait sur son premier abécédaire… Entre temps, le livre a connu trois rééditions. Une première chez Seghers, en 1980, sous la houlette de Gérard Klein, dans l’éphémère mais réputée collection « Les Fenêtres de la nuit ». Une deuxième en 1987, au format de poche, chez Pocket, où il put être découvert à un prix modique par un large public. En-fin, Les Soldats de la mer prirent place au Fleuve noir, en 1998, dans la « Bibliothèque du fantastique », qui se voulait une collection de référence, mais ne connut pas le succès escompté… Tous les livres n’ont pas ainsi la chance d’être régulièrement remis à la disposition du public ; c’est un honneur qui se mérite.

Ce roman est un fix-up. Un ensemble de nouvelles liées entre elles par une trame qui en fait un tout sous-titré « Chroniques Illégitimes Sous la Fédération ».

Sur une Terre qui n’est pas la nôtre, aux nuits éclairées par deux lunes, dans une Europe qui ressemble à la nôtre, du moins à ce qu’elle fut avant la naissance des nations italiennes et allemandes, naît une fédération impérialiste de cités unissant à l’origine Lauterbronn, Laërne et Ozmüde, rejointes au fil de l’histoire par quatre autres capitales… Voici des histoires avant tout militaires, où la guerre est omniprésente, surtout peuplée de fringants officiers subalternes ; des guerres, des batailles, des régiments et des uniformes, des uniformes surtout. Un monde où les lignes de front restent bien dessinées et où, après cinquante ans de fédération, la guerre ne semble pas avoir évolué, comme entre Waterloo et Gettysburg. Voilà en guise d’esquisse de trame. Peut-être peut-on voir dans ce goût pour l’imagerie militaire, que l’on retrouvera dans cet autre chef-d’œuvre qu’est Le Grand midi, une orientation majeure de la carrière cinématographique ultérieure des Rémy, qui compte de nombreux films pour les armées.

Chacun des récits composant le volume constitue une anecdote de cette époque où les événements fantastiques sont tout à fait communs. Doubles, vampires et fantômes hantent à foison le quotidien de ce monde à l’envers du nôtre. On peut passer à ses risques et périls dans un autre monde où ne luit qu’une unique lune. Des soldats de plomb ou de bois peuvent s’y animer le temps de changer le cours d’une bataille et l’avenir de ce monde…

Les Soldats de la mer n’est pas sans évoquer, tant par les personnages que par le ton, le climat ou les qualités d’écriture, Le Rivage des Syrtes de Gracq, ou Le Désert des Tartares de Buzzati, et on y perçoit comme un petit quelque chose de Borges ou de Supervielle. Il est possible de rêver à une parenté moins élogieuse… D’autres récits auraient pu être écrits a posteriori, mais n’auraient rien apporté de plus. L’ultime nouvelle, « Fondation », est une forme de coda qui clôt définitivement le livre sur lui-même et l’ancre au cœur de la fantasy, dont il reste à ce jour l’un des plus magnifiques fleurons.

Jean-Pierre LION

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