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Les critiques de Bifrost

Les Ombres de Wielstadt

Les Ombres de Wielstadt

Pierre PEVEL
POCKET
350pp - 8,30 €

Bifrost n° 25

Critique parue en février 2002 dans Bifrost n° 25

Imaginez le très sérieux Nom de la Rose, d'Umberto Eco, transposé dans un monde où toutes les créatures de la fantasy, du fantastique et des contes de fées surgissent à chaque page — faunes, goules, fées, centaures ou dragons —, avec en supplément un clin d'œil à la Cour des Miracles de Notre Dame de Paris, et des références érudites au texte biblique. Vous y êtes ? Eh bien vous avez Les Ombres de Wielstadt.

À la lecture du prologue, on pense plonger tout droit dans le roman gothique : sur le mode impersonnel, on nous explique qu'un dragon millénaire veille sur « sa » ville au passé tumultueux, aux prises alors avec les conflits politico-religieux entre catholiques et protestants. Pourtant, dés le premier chapitre, le roman semble opter pour le conte, avec l'apparition d'une petite fée volante poursuivie par un corbeau. Ce personnage, récurrent dans l'œuvre, fait partie de ces nombreux éléments sans véritable rôle dans le récit mais qui contribuent par leur seule présence à créer une ambiance très « baroque ». Quelques pages plus loin, entre en scène le héros, Kantz, qui incarne la troisième orientation du roman : une sorcellerie toute fantasy. Si l'on ajoute à cela, intercalée entre ces chapitres, l'apparition d'un personnage mystérieux — et qui le restera pendant la plus grande partie du récit, on constate que l'ouverture du roman est extrêmement touffue ; d'aucuns diraient confuse. Mais pas de panique : les fils se nouent et, passée l'épreuve des cinquante premières pages, on a tout remis dans le bon ordre.
L'intrigue repose sur le récit sanglant des exactions d'une bande de goules assoiffées de violence et de sang, et sur l'enquête menée par le Chevalier Kantz, exorciste patenté, qui ne rechigne pas à fréquenter les bas-fonds de la ville et le « Roi Misère » dans sa démarche. Le texte, qui ne se refuse pas quelques descriptions délicieusement « gore », a le souci de les contrebalancer par des anecdotes drôles et des dialogues savoureux. L'écriture, au rebours de la veine classique de la fantasy, amoureuse des digressions géographiques et sociologiques sur son univers, est dynamique, et le suspense parfaitement maintenu par une série de retournements et de révélations surprenantes. La conclusion, qui fait intervenir la mythique Sainte Vehme — et souligne le goût manifeste de l'auteur pour l'Histoire médiévale — est implacable.
Les puristes du genre feront peut-être remarquer que l'ambiance fantasy du roman n'est qu'un décorum pour une simple intrigue historico-policière : il est vrai que le rythme effréné des événements entre en conflit avec l'élaboration d'un univers franchement original. Cela se passe comme si le monde que nous offre Pevel allait de soi. Un univers que n'auraient pas renié les tenants de la littérature décadente, dans lequel un faune tenancier d'auberge est aussi commun qu'un Monsieur Homais propriétaire d'une pharmacie dans Madame Bovary. Wielstadt n'est certes pas la Terre du Milieu. On est moins pris par un monde parallèle que par une galerie de personnages, drôles, attachants ou mystérieux, comme cette très énigmatique « Femme en Rouge », qui semble tout droit sortie des Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas.

En dépit de cette relative « modestie », il est clair qu'une fois rentré dans l'œuvre, on va jusqu'au bout, cette dernière ligne qui, achevée, nous fait dire qu'après tout, on signerait bien pour un second volume. Voilà qui n'est pas si courant en fantasy francophone, une réussite récemment saluée par le Prix de l'Imaginaire 2002, et à juste titre.

Sylvie BURIGANA

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