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Les critiques de Bifrost

Les Anges radieux

Les Anges radieux

William T. VOLLMANN
ACTES SUD
896pp - 26,00 €

Bifrost n° 83

Critique parue en juillet 2016 dans Bifrost n° 83

On ne plaisante pas avec William T. Vollmann. Atypique, obsédé, fouineur, démesuré, provocateur, ce globe-trotter d’origine californienne est sans doute l’écrivain le plus titanesque de la littérature occidentale actuelle, le genre de type rare qu’on imagine bien laisser une empreinte forte sur plusieurs générations, l’éternité n’existant pas.

Il suffit de se plonger dans Les Anges radieux pour comprendre pourquoi ce mastodonte de 830 pages n’a été publié en France que vingt-neuf ans après sa parution initiale. Outre les problèmes de traduction, maintenant résolus par un Claro qui se révèle l’homme de la situation (comme avec Pynchon), on peut comprendre que nos éditeurs hexagonaux aient paniqué en découvrant ce pavé couvert d’encre où l’on cherche encore les dialogues, les phrases courtes, les retours à la ligne et, de manière générale, tout ce qui aère un tant soit peu la lecture. Ah, si ! Il y a des illustrations de l’auteur !

Pour être honnête, Les Anges radieux peinera à séduire un lectorat en quête d’évasion, même si une partie de celui-ci retrouvera des éléments qui lui sont familiers. Car ce premier opus de Vollmann est bel et bien une féérie, un ouvrage régi par les (non-)règles du merveilleux, comme le déroutant Féérie pour une autre fois de Louis-Ferdinand Céline, qui, lui aussi, pourrait être classé dans deux rayons différents d’une même librairie.

Au travers d’un patchwork de scènes éparpillées sur un siècle et demi s’affrontent trois factions : les réactionnaires, maîtres des mystérieux globes bleus, conquérants de l’espace qu’ils marquent en créant leur réseau électrique tentaculaire ; les révolutionnaires, qui s’opposent à eux et à cet american way of life courant du massacre des Amérindiens à l’administration Reagan, du télégraphe aux satellites ; les insectes, qui représentent la nature et toutes les minorités qui subissent plus qu’elles ne s’expriment.

Si les insectes s’allient très vite aux révolutionnaires, Vollmann ne manque pas de détailler à quel points ces factions sont à géométrie variable : rivalités entre réactionnaires, trahisons chez les révolutionnaires qui concluront une étrange alliance avec des insectes aux intentions hermétiques… Même la narration de Bug, le chef révolutionnaire modèle et expérimental, se fait régulièrement parasiter par le dangereux Big George. On l’aura compris, Burroughs n’est pas loin non plus, pas plus que Dick (mais comme Dick est toujours partout…).

Contenant les ferments de l’œuvre à venir, et notamment de ce chef-d’œuvre sans pareil qu’est Central Europe, Les Anges Radieux est un bouquin riche et difficile, la mauvaise porte d’entrée sur l’univers de Vollmann, un passage obligé pour qui y est déjà installé, un roman qu’il faudra savoir digérer longtemps. Mais comme tout travail mérite salaire…

Grégory DRAKE

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