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Les critiques de Bifrost

Le Cercle de Farthing

Le Cercle de Farthing

Jo WALTON
DENOËL
352pp - 21,50 €

Bifrost n° 78

Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78

Après le très acclamé Morwenna, Le Cercle de Farthing est le deuxième roman de Jo Walton à paraître en français — bien qu’ayant été écrit avant Morwenna. Rappelons à toutes fins utiles que l’auteure a déjà une bibliographie forte de onze romans, le dernier en date, The Just City, étant paru en début d’année.

Le Cercle de Farthing initie donc la trilogie du « Subtil changement » ; en anglais, « Small Change », ce qui se traduit aussi par « petite monnaie ». Et justement : avant sa démonétisation en 1960, un farthing valait un quart de penny — c’est-à-dire pas grand-chose. Le présent roman se déroule quant à lui en 1949, dans une Angleterre qui n’est pas la nôtre. Huit ans plus tôt, après le vol de Rudolf Hess en Angleterre, une paix dans l’honneur a été signée entre le Royaume Uni et le Troisième Reich. Cela, grâce à un groupe de jeunes politiciens, surnommé le « cercle de Farthing », d’après le nom d’un domaine situé dans le sud de l’Angleterre. Le principal artisan britannique de cette paix est un jeune homme plein d’avenir, Sir James Thirkie, que beaucoup imaginent accéder au poste de Premier Ministre. Mais Thirkie ne va rien devenir du tout : il est assassiné à Farthing, lors d’une réunion du cercle. Sur son corps, une étoile jaune ensanglantée. Les soupçons se portent aussitôt sur David Kahn. Parce que celui-ci est juif et présent au domaine lors du crime. Une présence expliquée par le fait qu’il est marié à Lucy Eversley. Lucy, fille des châtelains de Farthing, a fait fi des conventions et a épousé David par amour et non par intérêt. L’inspecteur Carmichael, de Scotland Yard, se retrouve chargé de l’enquête, qui s’avère plus complexe que prévue. Nombreux sont ceux à avoir intérêt à ce que Kahn soit inculpé, quand bien même cet homme ne possède aucun motif. Mais les événements se mettent en branle à un tout autre niveau : bientôt, Mark Norman-by, le meilleur ami de feu Thirkie, est désigné Premier Ministre et s’empresse de promettre des mesures drastiques pour faire régner l’ordre…

Si Le Cercle de Farthing, par son aspect uchronique (peu mis en avant), évoque le très bon Fatherland de Robert Harris, ou l’excellent La Séparation de Christopher Priest, il commence cependant comme un épisode de Downtown Abbey ou un roman d’Agatha Christie : un meurtre dans la haute société anglaise, les rapports entre aristocrates et domestiques, une galerie de suspects ayant tous intérêt au décès de Sir James Thirkie. Le whodunit s’estompe vite toutefois : la portée politique de ce crime pèse lourd, dans cette Angleterre divergente où les préjugés antisémites, anti-communistes et homophobes sont forts — rien d’anormal pour l’époque, certes. Mais le contexte européen exacerbe les choses. Et il se pourrait bien que le meurtre de Thirkie ne soit pas une fin mais un moyen. Car ce qui a débuté comme un simple crime commis entre gens de la bonne société a des implications bien plus profondes, et dangereuses. Alternant le récit entre les points de vue de Lucy Kahn, jeune femme portant un regard lucide sur le monde dans lequel elle évolue, où le vernis noble dissimule à peine le sordide, et Carmichael, l’inspecteur intègre, Jo Walton tisse une intrigue implacable où, par lâcheté, aveuglement, opportunisme, compromission, l’on en vient à abdiquer les libertés individuelles.

Les thèmes abordés et l’écriture subtile de Jo Walton font du Cercle de Farthing une indéniable réussite. Paru en 2006, le roman demeure de toute actualité en nos temps troublés. Autant dire qu’on attend avec impatience Ha’Penny et Half a crown, les deux volumes suivants du « Subtil changement ».

Erwann PERCHOC

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